Santé communautaire – Quand la solidarité soigne
La vie n’est pas un long fleuve tranquille… Que faire lorsqu’on perd pied ? En Belgique, notre système de soins en santé mentale offre des espaces tels que les hôpitaux psychiatriques, les centres de jours ou encore les équipes mobiles. Mais si cela n’était pas suffisant ? S’il fallait plus de structures extra hospitalières ? Des lieux où créer du lien social, véritable antidote contre la souffrance mentale ? C’est ce qui a motivé la création de la Clinique du lien qui se targue, justement, de ne pas être une ‘clinique’ au sens propre du terme. Cette analyse raconte l’histoire de ce projet ambitieux, un projet sensé, un projet de liens. C’est aussi l’histoire d’un combat mais aussi d’entraide et de solidarité.
Genèse du projet
Généralement, à travers le parcours de soin en santé mentale, le passage par un hôpital de jour est la suite logique à une hospitalisation. Cette structure porte bien son nom puisque les patients sont encadrés durant la journée et rentrent chez eux quand vient le soir. L’encadrement de l’hôpital de jour peut paraître contraignant, avec des horaires précis et une obligation de présence par exemple. Petit à petit, le temps passé en hôpital de jour diminue jusqu’à son arrêt complet. Les personnes se retrouvent de nouveau à plein temps chez elles. C’est là que, au sein de leur foyer, l’équilibre délicat mis en place peut à nouveau basculer : être confronté à des difficultés, la solitude, le manque de lien, les angoisses, etc. sont des raisons suffisantes qui peuvent mener à une nouvelle hospitalisation. Et ce parcours se transforme en boucle infernale et interminable.
Fortes de ce constat, deux professionnelles de la Clinique de la Forêt de Soignes ont pensé à la création d’un lieu de transition hors structure hospitalière, faisant office de passage entre l’hôpital et la société, entre la solitude et la société. La constitution d’un espace rassemblant des personnes souffrant de vulnérabilité psychique permet de les stabiliser, de mobiliser leurs resssources, de (re)découvrir leurs compétences et de (re)trouver confiance en leurs potientialités à travers un panel activités proposées. En créant un espace de partage, ce lieu de liens offre une occasion de sortir de l’isolement social. Les personnes ne sont plus des patientes mais des participantes aux divers ateliers. Elles oeuvrent à leur rétablissement et leur permet de s’intégrer dans le tissu social.
Pensé aussi bien pour les patients que par les patients, ce projet est le fruit d’un croisement de savoirs entre les professionnels de terrain mais aussi avec la complicité de certains patients ou anciens patients, aidants-proches, etc. Cette collaboration multiple a permis la création d’un espace porteur de sens pour les personnes ayant des vulnérabilités psychiques. Après des mois de discussions et de travail, l’Espace du liena ouvert à Genval en 2016.
Un projet qui ne rentre dans aucune case
Sans surprise, une grande difficulté de ce projet a été le financement. L’idée est alors venue de proposer un centre de permanence avec des consultations à l’étage et un espace de création et d’ateliers au rez-de-chaussée d’un même bâtiment. Malgré la structure légère de l’association (un loyer, un travailleur à temps partiel et du matériel), la recherche de subside reste fondamentale pour la pérennisation du projet. Alors que les souffrances psychiques sont en augmentation, que la pandémie COVID-19 a accentué certains déséquilibres et a permis de se rendre compte de l’importante du lien social, les budgets alloués à la santé mentale – en tout cas pas pour un projet tel que celui-là – restent trop faibles. À Bruxelles, la Commission Communautaire française (Cocof) subsidie les « Lieux de liens ». Seulement, en Wallonie, il n’existe pas d’appellation similaire. Seule l’AVIQ offre un subside annuel mais qui n’est pas suffisant pour tout couvrir. Aujourd’hui, et afin de pérenniser ses activités, l’Espace du lien a créé le « Fonds des Amis de l’Espace du lien », géré par la Fondation Roi Baudoin.
La santé communautaire, késaco ?
« L’approche en santé communautaire se définit comme un processus ayant une vision plurifactorielle de la santé, qui entreprend le développement d’actions de prévention et de promotion de la santé à travers la participation de groupes de personnes affiliées sur un territoire, dans une perspective de justice sociale, par la réalisation de changements structurels (environnementaux et comportementaux), en vue d’améliorer la santé de la communauté et de ses membres »1Voir https://educationsante.be/sante-communautaire-lheure-est-a-lechange-de-pratiques/. Autrement dit, la participation des membres à l’ensemble du processus est fondamentale dans la pratique de la santé communautaire2Voir http://www.mmanderlecht.be/mma/index.php/les-activites/108-les-projets-en-sante-communautaire.
Dans cette même démarche, l’Espace du lien se veut un lieu vivant, convivial, bienveillant et acceuillant. Un lieu de soutien, un microcosme dans lequel il est possible de (re)trouver des personnes qui sont elles aussi passées par des moments difficiles, des phases de vulnérabilité. Dans cet endroit, il est possible de faire des ateliers en groupe, de se créer une appartenance au sein d’une communauté. Les volontaires et les participants sont libres de proposer des ateliers. Lorsque la personne passe de ‘participante’ à ‘animatrice’, cela signifie qu’elle se sent suffisamment rétablie pour porter la responsabilité d’aider à son tour ses pairs, en s’appuyant sur son expérience selon le principe de la pair-aidance3« Le pair-aidant est une personne qui elle-même a vécu une période de souffrance psychique qu’elle a pu dépasser, pour laquelle elle est stabilisée depuis au moins 2 ans. Elle vient partager son expérience pour accompagner des personnes fragilisées dans cette transition vers une rémission et vers un retour vers une qualité de vie meilleure » (https://www.rtbf.be/article/a-la-clinique-du-lien-le-role-essentiel-du-pair-aidant-10136660).
« Étant dans l’ébauche d’une ‘re-naissance’, les ateliers (…) m’ont permis de renouer avec la vie, avec les animateurs, avec les présents, tous dans une quête de sérénité à retrouver des relations, à recréer, à ‘créer tout court’. Le temps a passé, la Vie a repris le dessus, activités, job, vie sociale (…). Après avoir tellement reçu, j’ai souhaité rentrer dans la dynamique de cette ‘boule de laine’ de liens qui se tricotent… ‘Donner ce qui m’a nourrie’ » explique une participante qui a intégré l’équipe des volontaires.
La venue de chacun est sur une base volontaire, l’important est que chacun puisse être libre d’être qui il est, avec ses difficultés et son bagage. L’accès aux activités est conditionné par une entrevue avec un psychiatre et un psychologue qui évaluent si le projet peut correspondre à la personne. Au terme de cet entretien, la personne est libre d’y prendre part ou non, de la même manière que chaque membre est libre de rester discret sur son trajet de vie.
« Suite à un accident dans ma jeunesse, laissée sans soins psychologiques, je me retrouve encore de temps en temps et depuis des années avec du ‘stress post-traumatique’ qui engendre des moments d’angoisse. (…) Ces ateliers sont devenus incontournables pour moi, c’est un but dans ma vie. J’ai le sentiment d’appartenir à une famille ayant un projet collectif. Je prends plaisir et je suis fière de pouvoir parfois aider quand une personne a plus de difficultés. (…) Quand je suis à l’Espace du Lien, je ne pense plus à rien mais à ce que je fais et je me sens intégrée dans un groupe au lieu de me refermer sur moi. Je me suis fait des amis, alors que seule c’est compliqué. (…) Franchement je ne sais pas ce que je deviendrais si ce lieu n’existait plus ».
V., une participante
L’Espace du lien a permis de mettre en exergue que le groupe et la communauté sont fondamentaux dans la démarche de soin. Cette année, l’Espace du lien propose 12 activités différentes : recherches artistiques, groupe de parole, cuisine, couture, tricot, mosaïque, sorties culturelles, etc. Les activités varient en fonction des compétences de chaque animateur, « le fait que les gens qui animent ont vécu la même expérience offre aux patients un possible, leur montre qu’on peut se remettre de la difficulté qu’ils vivent, qu’on peut retrouver la confiance et devenir éventuellement soi-même un pair-aidant. Cela met les gens dans une logique de progression, de rémission, et démystifie les difficultés de santé mentale »4https://www.rtbf.be/article/a-la-clinique-du-lien-le-role-essentiel-du-pair-aidant-10136660.
Au-delà des activités, c’est surtout pour le lien social que certaines personnes s’y inscrivent. La santé mentale n’est pas un problème individuel mais bien une préoccupation globale. Et avoir un groupe d’appartenance fait déjà office de prévention de soin en santé mentale.
Les problèmes de santé mentale isolent et sont souvent couplés à la précarité5À ce sujet, voir l’étude d’Avent 2024 sur la santé mentale, Quand la détresse est partout. Regards sur les liens entre précarité et santé mentale, disponible sur https://vivre-ensemble.be/publication/etude-2024/. Un cercle vicieux dans lequel il est facile de tomber. Les personnes à petits revenus ou dépendant de la mutuelle ont moins d’opportunité de pouvoir participer à des activités extérieures ou culturelles et faire partie d’un groupe. De plus, les souffrances psychiques font partis des non-dits de la société. Le sujet n’est plus tabou mais il est toujours difficile d’assumer des problèmes de santé mentale au sein de notre société. D’autant plus que la santé mentale est parfois encore synonyme de folie. L’isolement n’en est que plus grand et un espace de rencontre bienveillant est d’autant plus indispensable pour retrouver ses repères.
Cette analyse a été réalisée sur base d’un entretien avec Françoise Racquez, coordinatrice de l’Espace du lien, en date du 11 juin 2024. Nous la remercions pour sa disponibilité et sa confiance.
- 1Voir https://educationsante.be/sante-communautaire-lheure-est-a-lechange-de-pratiques/
- 2Voir http://www.mmanderlecht.be/mma/index.php/les-activites/108-les-projets-en-sante-communautaire
- 3« Le pair-aidant est une personne qui elle-même a vécu une période de souffrance psychique qu’elle a pu dépasser, pour laquelle elle est stabilisée depuis au moins 2 ans. Elle vient partager son expérience pour accompagner des personnes fragilisées dans cette transition vers une rémission et vers un retour vers une qualité de vie meilleure » (https://www.rtbf.be/article/a-la-clinique-du-lien-le-role-essentiel-du-pair-aidant-10136660)
- 4https://www.rtbf.be/article/a-la-clinique-du-lien-le-role-essentiel-du-pair-aidant-10136660
- 5À ce sujet, voir l’étude d’Avent 2024 sur la santé mentale, Quand la détresse est partout. Regards sur les liens entre précarité et santé mentale, disponible sur https://vivre-ensemble.be/publication/etude-2024/