photo d'une salle avec un publique assise regardant un écran de présentation
Analyse

Unis pour un toit à Charleroi !

par Orane Caryn et Bruno Di Pasquale
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Le Droit au logement au cœur du travail des associations

Inscrit comme droit fondamental dans l’article 23 de la Constitution Belge, le droit à un logement décent se révèle être une illusion pour de nombreuses personnes en Belgique. La ville et l’entité de Charleroi n’échappent pas à ce constat alarmant. C’est pourquoi l’équipe d’Action Vivre Ensemble et ses volontaires ont eu l’idée de rassembler différents acteurs liés à la thématique du logement lors d’une demi-journée dans le cadre du colloque “Droit au logement : une crise sans fin ?”. Organisée le 23 novembre 2023 sur le site de Monceau, cette journée fut riche de partages et d’échanges sur la situation du logement à Charleroi et animée par la volonté de mettre en avant le travail réalisé par les associations carolorégiennes. Étaient présents les collectifs pour le Droit Au Logement de Charleroi (DAL) et Solidarités Nouvelles, le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP), la société de logement social La Sambrienne, le Groupe Partenariat Logement (GPL), le Service Appui du CPAS, le Relais Social de Charleroi, Relogeas, l’AMO Point Jaune, l’échevine du logement de la ville de Charleroi, le CEFOC, le site de Monceau Fontaines, le Château des Hamendes et Action Vivre Ensemble.

Un coup d’œil dans le rétroviseur

L’entité de Charleroi et ses paysages sont marqués par leur passé industriel. Cet héritage particulier a créé une configuration urbaine spécifique dans laquelle les périphéries sont difficilement intégrées au centre, rendant le territoire particulièrement vulnérable1Cenci, J., Pouleur, J. A., & Becue, V. (2014). Territoire post-industriel en transition: entre vulnérabilité contemporaine et résilience territoriale. Les cas de Manchester et de Charleroi. Éthique et économique= Ethics and economics, 11(1).. Aujourd’hui ville la plus peuplée de Wallonie, Charleroi peut être définie comme la “plus jeune des métropoles belges2Idem, p.89. suite à la fusion des communes en 1977. Mais qui dit métropole, dit aussi inégalités et précarité et Charleroi n’y échappe pas. En effet, la faible diversité du tissu économique et laboral ne facilite pas une transition économique déjà difficile3DERMINE, T., Un plan stratégique pour Charleroi dans Courrier hebdomadaire du CRISP, 2060, 2010, p. 5-46. (voir https://doi.org/10.3917/cris.2060.0005) et PLEITNIX, R., Charleroi, ville ouverte: une cartographie des possibles, 2018.. La tendance à l’exode pour les personnes ayant obtenu un diplôme d’éducation supérieure ou universitaire crée davantage de paupérisation4DERMINE, T., op. cit.. Dès lors, la faible qualification des habitant.es de Charleroi, le peu de création d’entreprises ainsi que le faible taux d’emplois se résultent par un taux de chômage élevé (30%) et ce, spécifiquement chez les jeunes5Ibidem..

Ces différents éléments nous permettent de mettre en évidence la paupérisation et la précarisation galopantes des ménages carolos. Une crise qui perdure dans le temps n’est plus une crise mais un problème systémique ; “la précarité n’est pas un phénomène marginal à Charleroi, mais un problème de fond auquel sont confrontés de nombreux foyers6Idem, p.11.”. Cependant, cela n’empêche pas une belle diversité interculturelle, une richesse patrimoniale et une créativité débordante aux origines multiples, comme nous le verrons par la suite avec le travail des associations locales.

Se loger à Charleroi : un luxe ?

Quelques chiffres

Les constats sur la situation du logement à Charleroi ne sont malheureusement pas très réjouissants. Concernant les logements eux-mêmes, plus de 50% des logements occupés sont considérés comme très anciens c’est-à-dire, datant d’avant 1919. Ce taux est le plus élevé de Wallonie (figure 1).

Figure 1 : Taux des logements occupés datant d’avant 1919 (2011)7MEYER, S. et MARÉCHAL, K., Le marché résidentiel locatif en Région wallonne et dans ses 4 principaux centres urbains. Policy Papers CEB, 2018.

L’ancienneté des logements va de pair avec la vétusté. Beaucoup de bâtiments sont considérés comme des passoires énergétiques et de nombreux foyers doivent faire face à des charges qui deviennent impayables. La solution principale à ce problème est évidente : la rénovation des logements. Cependant, plus d’un.e carolo sur deux vit dans un logement en location et dépend donc du propriétaire pour la réalisation de travaux8Idem..

De plus, ces logements ne sont souvent pas adaptés à la réalité démographique et sociologique de la région. Le marché immobilier carolorégien propose davantage de maisons que d’appartements, alors que cela ne correspond pas à la composition des ménages. En effet, Thierry Eggeryckx, démographe à l’UCLouvain, rappelle l’importance du nombre de familles monoparentales ainsi que le fait que plus de 43% des ménages sont constitués de personnes vivant seules (alors que la moyenne belge se situe autour de 32,8%9MEYER, S. et MARÉCHAL, K., op.cit., et GHILANI, S. et PERCY, De la discrimination au logement au logement sans discrimination: création d’une agence de gestion locative à vocation sociale dans la région de Charleroi, s.d.). La composition des ménages évolue et se transforme au fil du temps en Belgique alors que les types de logements proposés ne se diversifient que très peu. Selon les auteurs, il est primordial d’adapter l’offre de logements aux demandes sociologiques et démographiques10GHILANI, S. et PERCY, De la discrimination au logement au logement sans discrimination : création d’une agence de gestion locative à vocation sociale dans la région de Charleroi, s.d..

En outre, le phénomène de vacance immobilière est largement sous-estimé et concerne aussi bien les logements sociaux que privés11LELUBRE, M., LEMAIRE, E., et CASSILDE, S., Identifier et estimer la vacance immobilière résidentielle : quelle méthodologie ? dans Les Echos du Logement, 2015, p. 25-31.. Lors de notre journée du 23 novembre, divers lieux ont été mentionnés, aussi bien dans des quartiers populaires que des bâtiments privés. Pour exemple, la rue de la Montagne a plusieurs fois été citée.

Malgré l’existence de logements vides, une autre réalité du non-respect du droit au logement est le sans-chez-soirisme qui concerne les personnes contraintes de vivre et dormir dans la rue ou dans un logement non-conventionnel12On entend par « logement non-conventionnel » des abris tels qu’une tente, un garage, un squat, un accueil de nuit, une voiture, …. Lors de notre événement, Jérémy Wilmot, coordinateur au Relais Social de Charleroi, a eu l’occasion de partager les résultats du dénombrement du “sans chez soi” mené à Charleroi. Cette recherche a permis d’établir pour la première fois un chiffre concret du nombre de personnes sans-abris à Charleroi. Les constats ont, une fois de plus, été très interpellant. La nuit du dénombrement, plus de 80 volontaires sont allés à la rencontre des 1159 personnes dormant en rue ou dans un logement non-conventionnel. Si le chiffre peut faire grincer des dents, les caractéristiques socio-démographiques sont d’autant plus moroses. Sur les 1159 personnes recensées : 200 étaient des mineurs d’âge, près de 30% étaient des femmes, 5 enfants ont passé la nuit dehors, 304 personnes (chiffre sous-estimé selon Jérémy Wilmot) souffrent d’addiction et un quart ont des problèmes de santé, … En outre, ce recensement a permis de distinguer 2 particularités propres à Charleroi : d’une part, une forte présence des jeunes adultes (16/17-25 ans) puisqu’ils représentent un cinquième des personnes recensées et d’autre part, la temporalité longue du sans-abrisme car près de 35% sont en situation de sans-abrisme depuis plus de 2 ans (parfois depuis 10 ans). Georges Pierard-Busigny (Relogeas) et Loïc (AMO Point Jaune) ont tous les deux interpellé le public du colloque sur l’explosion des demandes d’aides qu’ils reçoivent de la part des jeunes…

L’ensemble de ces constats ne nous sont pas inconnus. En effet, la situation est la même depuis plusieurs décennies maintenant et cela démontre une nouvelle fois que le problème du logement n’est pas anodin ou dû à une prétendue fainéantise des personnes en situation de précarité mais bien un problème systémique. Nicolas Marakakis, animateur en éducation permanente chez Solidarités Nouvelles, a souligné que depuis sa création en 1993 le Collectif pour le Droit Au Logement (DAL) ne voit pas d’amélioration dans la situation du logement à Charleroi. Selon eux, certains chiffres et problématiques se sont même empirés. 

Et alors ?

Que faire face à de telles réalités qui se dégradent d’année en année ? Comment aider ces personnes et comment ne pas se laisser dépasser par la situation ? Mais surtout, qu’est-ce qui est mis en œuvre à Charleroi et dans ses alentours ?

De nombreux.seuses acteurs.trices de terrain et associations se mobilisent quotidiennement pour lutter contre le mal-logement ainsi que le sans-abrisme. Selon Christine Mahy, présidente du Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté, Seules les alliances et laudace de mener le combat pourront permettre de changer les choses”. Voici les pistes d’actions que nous avons décidé de mettre en avant lors du colloque “Droit au logement : une crise sans fin ?” du 23 novembre 2023 fondées sur un réseau associatif carolo pour le droit au logement fort et soudé.

Un réseau associatif carolo pour le droit au logement 

Des résistances et des luttes…

Il semble primordial daborder la richesse du tissu associatif luttant pour le droit au logement à Charleroi mais encore plus d’en souligner linteraction et le travail de partenariat qui existent entre ces différents acteurs publics et privés. En effet, les associations locales ont réussi à créer une collaboration de long terme, notamment via le Groupe Partenariat Logement (GPL) : “Nous avons la chance de tous nous connaitre” rappelle Georges (Relogeas). Le travail en réseau est apparu comme étant LA solution par excellence pour faire valoir le droit au logement au plus de citoyen.nes possible.

Lors du colloque, la majorité de ces associations ont eu l’occasion de présenter leurs projets, leurs difficultés et leurs revendications. Chacun.e d’entre elles, et parfois les unes avec les autres, mettent en place divers projets et actions afin de lutter pour le droit au logement.

Renée du DAL nous a tout d’abord fait un retour sur la manifestation pour le droit au logement organisée dans le centre-ville de Charleroi, en octobre dernier. Les enjeux de cette manifestation étaient clairs : dénoncer la vacance immobilière ainsi qu’interpeller les sociétés de logements et autres acteurs publics. Lors de cette action, c’est l’ensemble du tissu associatif carolo qui s’était mobilisé. Ensuite, Nicolas Marakakis nous a rappelé que le DAL et Solidarités Nouvelles sont au beau milieu d’un projet quinquennal sur la thématique des expulsions domiciliaires en rappelant combien elles sont un réel traumatisme pour les personnes qui en sont victimes et a souligné une véritable méconnaissance du sujet aussi bien chez les propriétaires que chez les locataires.  Cela s’explique en partie par le fait qu’il y a un réel manque de données concernant le nombre avéré d’expulsions. Il est important de rappeler que la plupart des expulsions sont totalement invisibilisées. Dans un tel contexte, Solidarités Nouvelles et le DAL se sont engagés à faire de la prévention, à informer les locataires mais également à offrir un soutien aux personnes qui ont été victimes d’expulsion. Si la majorité des expulsions ont lieu suite à des loyers impayés, ne serait-il pas temps de se demander si ce ne sont pas plutôt les loyers qui sont impayables13GODART, P., SWYNGEDOUW, E., VAN CRIEKINGEN Criekingen, M. et VAN HEUR, B. Les expulsions de logement à Bruxelles: combien, qui et où?, Brussels Studies, 176, 2023. ? La récente étude d’Action Vivre Ensemble « À bout de souffle : parcours d’obstacles pour le droit au logement14Étude de campagne Avent 2023 voir https://vivre-ensemble.be/outil/etude-de-campagne/ » a pointé le coût global du logement comme étant un véritable obstacle pour une vie épanouie.

Et qu’en est-il des logements sociaux ? La Sambrienne est la plus grande société de logement social de Wallonie et permet actuellement à plus de 18.000 personnes d’être logées dans de bonnes conditions pour un loyer n’excédant pas 20% du revenu. Selon David Conte (gestionnaire des partenariats et de la communication), les logements sociaux sont la meilleure solution contre le mal-logement et le sans-abrisme. La présence de logement sociaux permet de lutter contre la gentrification de certains quartiers et de créer une certaine pression sur le marché immobilier. Mais alors, pourquoi des centaines de personnes sont encore sans logement ou en attente d’un logement plus adapté à leur situation ? La réponse est simple : les sociétés de logement telles que La Sambrienne manquent cruellement de financements. David nous a expliqué que les coûts de rénovation et de construction de logements ont explosé alors que les financements ont quant à eux diminué.

Heureusement, il existe d’autres projets qui permettent aux personnes en situation de sans-abrisme ou de mal-logement de trouver un accompagnement social et un logement de plus ou moins long terme. Avec le projet “Pose ton sac” du Château des Hamendes et du Service Appui du CPAS, un couple et 8 personnes peuvent être logées et bénéficier d’un accompagnement social le temps de trouver une situation de logement pérenne dans le public ou dans le privé. Depuis le début du projet en 2019, 75 personnes ont pu recevoir de l’aide et 40 ont trouvé un logement à long terme nous explique Lorie Epifanie du pôle logement du CPAS. Une de ses principales difficultés au quotidien est de convaincre les propriétaires de louer leurs biens à une personne avec un revenu du CPAS et/ou qui est en phase de sortir de la rue.

Dans la même idée, le projet Housing First coordonné par le Relais Social permet à des personnes sans abri depuis plus de 2 ans et qui ont un problème d’addiction et/ou de santé mentale de bénéficier d’une réinsertion sociale avec l’obtention d’un logement comme point de départ. Les résultats sont à la hauteur des espérances : le maintien en logement est de minimum 80%, selon les évaluations européennes. Ce succès s’explique entre autres par la place centrale de l’accompagnement social de qualité et pérenne à la base de la démarche Housing First. Plusieurs membres d’associations ont appuyé l’importance du logement comme point de départ pour faire valoir son droit à une vie digne. Christine Mahy parle de l’accès à un logement comme d’un tremplin tandis que Françoise qui a vécu des difficultés de logement témoigne “Maintenant que j’ai un logement, je revis”. Pouvoir se loger, c’est pouvoir accéder à une vie sociale, à une sécurité mais également à la santé. Marion Lorge (Relais Social) nous a toutefois fait part qu’il était aussi parfois compliqué de convaincre les propriétaires de se lancer dans le projet Housing First. Selon elle, c’est principalement dû au manque d’information puisqu’en réalité les propriétaires bénéficient de garanties non-négligeables telles que le loyer, l’accompagnement social du locataire, etc.

Nous l’avons mentionné précédemment, la précarité et les problèmes de logement touchent particulièrement les jeunes à Charleroi. C’est pourquoi l’AMO Point Jaune et Relogeas ont décidé de s’allier pour créer le projet Kot Tremplin. L’initiative Kot Tremplin est un projet de mise en autonomie des jeunes entre 18 et 25 ans avec un double objectif. D’une part, via les 9 kots disponibles, Relogeas s’occupe de l’aspect logement avec l’idée de maintenir le jeune dans son kot et d’autre part, un accompagnement social par l’AMO Point Jaune pour l’insertion sociale, la gestion et les démarches administratives. Cependant, force est de constater que beaucoup de jeunes ont encore beaucoup de peine à se loger. Les acteurs de terrain remarquent une réelle fracture entre le secteur d’aide à la jeunesse et le secteur d’aide pour adultes. Ce manque de collaboration ajoute de la confusion dans un quotidien incertain, les jeunes se retrouvent perdus et sans balises dès leur majorité : “On nous les livre comme des paquets et ils ne savent pas quoi faire” explique Georges. Depuis le début du projet, 30 jeunes ont pu être accompagnés dans le cadre du projet Kot Tremplin. Cependant, les demandes sont bien plus nombreuses et le manque de ressources humaines et financières ne permettent pas d’accompagner tous ces jeunes en demande. Pour preuve, deux tiers des personnes en situation de sans-abrisme à Charleroi sont passées par l’aide à la jeunesse.

Comment garder la tête hors de l’eau face aux demandes d’aide qui explosent, face aux difficultés du quotidien et au manque de moyens ? Les différents acteurs publics et privés liés de près ou de loin au logement sont parvenus à s’unir au sein du Groupe Partenariat Logement (GPL). Cet espace de discussion permet aux un.es et aux autres de discuter des préoccupations, des adversités et des problèmes qu’ils rencontrent au quotidien dans leurs métiers respectifs. Ces échanges permettent un partage d’expériences d’une part mais également de penser à des solutions tous ensemble. Le lieu permet de partager ce qui a été mis en place dans leurs structures respectives. D’ailleurs, le GPL travaille actuellement sur un cahier de recommandations qui recense les problématiques du quotidien avec, en parallèle, des pistes de solutions. Ce cahier est rédigé à partir de ce que les acteurs.trices de terrain constatent dans leur travail. L’ensemble des recommandations seront publiées au début de l’année 2024. Entre-temps, David Conte (La Sambrienne) revient sur l’importance de la collaboration. La seule solution pour y arriver est de travailler ensemble, et d’avoir un message coordonné et unique pour face faire au secteur politique. Sur le plan politique justement, Laurence Leclerc, échevine du logement de Charleroi s’est engagée le 23 novembre dernier en présence des acteurs de terrain à “revendiquer des budgets au niveau du Ministre du logement. Jamais autant de moyens n’ont été investi pour le logement, dans une législature mais il faut plus de moyens.

….vers les revendications pour l’avenir

Nous venons de mettre en lumière le travail mené d’arrache-pied par le tissu associatif carolo. Chacun se livre corps et âme à son travail et ne compte pas les heures passées à venir en aide à celles et ceux qui en ont besoin. Ce n’est pourtant pas suffisant ! Des milliers de personnes dorment en rue, sont mal logées ou sont en attente d’un logement. Les acteurs constatent qu’il est temps de prendre le problème à bras le corps ! Se contenter de sparadraps et laisser le travail aux associations qui manquent déjà de moyens n’est plus tenable.

Au niveau économique, il existe un manque criant de financements à la fois pour la construction et la rénovation de logements sociaux mais également pour la réalisation des projets des différentes associations. Christine Mahy (RWLP) insiste sur le fait que les logements doivent être durables (écologiquement et socialement parlant), de qualité et abordables. Nicolas Marakakis (Solidarités Nouvelles – DAL) ajoute que cela ne se pourra se faire que si la question du logement se retrouve au centre des agendas politiques et que les politiciens, du local au fédéral, abordent enfin la question du logement comme il se doit.

Il faut créer, soutenir et défendre que des choses soient faites au niveau politique” exprime Christine Mahy. Au-delà du fédéral, la Sambrienne mentionne que c’est également au niveau européen que des mesures doivent être prises, notamment concernant l’investissement financier dans les logements sociaux. À l’approche des élections, il est primordial de mener campagne afin que le droit au logement soit aussi au cœur des déclarations politiques régionales.

Cela passe tout d’abord par la suppression du statut cohabitant. Après des années de lutte, l’année 2024 sera peut-être enfin l’année de l’individualisation des droits. Toutefois, Christine Mahy avertit  « Il ne faut pas baisser la garde : la suppression du statut cohabitant n’est pas encore garantie ». Le RWLP rappelle également qu’il est temps que les acteurs se parlent, que le Ministère de l’environnement s’intéresse aux politiques sociales autour du logement et de l’énergie, que le politique rencontre davantage l’associatif, etc. La problématique du logement est étroitement liée à la question climatique et c’est dans ce cadre que le RWLP a rédigé le “Pacte Logement Énergie pour les portefeuilles plats”. Cette proposition concrète est le résultat d’une convergence des luttes qui comprend des avantages pour les ménages, pour le budget de l’Etat mais aussi pour allier urgence sociale et climatique.

Afin de mener ces différents combats à terme, Nicolas rappelle qu’il faut veiller à donner la parole aux acteurs de terrain et aux témoins du vécu. La problématique du logement est tellement complexe que seules les personnes qui s’investissent au quotidien dans cette thématique ont les clefs en mains.

Selon les différent.es expert.es présent.es, il est aussi temps de faire pression sur les propriétaires à différents niveaux. Tout d’abord, il faut les sensibiliser à la problématique de la difficulté d’obtenir un logement et les rassurer sur le fait qu’un.e locataire en situation de précarité et/ou avec un revenu du CPAS n’est pas d’emblée un.e mauvais.e locataire. Au contraire, nous l’avons déjà mentionné dans le cadre des projets tel que le Housing First : les loyers sont garantis (c’est aussi le cas avec les Agences Immobilières Sociales – AIS). Ensuite, selon le collectif DAL, il faut obliger les propriétaires à entretenir leurs biens, à les rénover dans le but de loger les locataires dans des conditions décentes et de mettre fin aux marchands de sommeil. Il invite également à lutter contre la vacance immobilière : ces milliers de logements vides en Belgique, même si tous ne sont pas habitables, pourraient accueillir des milliers de personnes. Le DAL propose donc de respecter la loi concernant la taxation des logements restées inoccupés depuis trop longtemps. Cela est également revendiqué par le RWDH (Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat) et le RWLP. À Bruxelles, en octobre 2023 et pour la première fois, la Région Bruxelloise a fait condamner un propriétaire dont le bien était inoccupé et dans un état de délabrement avancé. C’est une action inédite à l’échelle régionale au niveau de ce type d’astreintes. Pourquoi de telles mesures ne sont pas prises en Région wallonne ? Et par la ville de Charleroi ?

En ce qui concerne les personnes en difficultés de logement, le Relais Social, le Service Appui du CPAS, Relogeas et l’AMO Point Jaune demandent de favoriser et d’offrir aux personnes qui en ont besoin un accompagnement social de qualité afin qu’ils et elles deviennent autonomes, trouvent une situation de logement pérenne et durable mais aussi qu’ils et elles puissent se réinsérer dans la société.

Ensuite, l’encadrement des loyers et non-indexation de ceux-ci sont aussi au cœur des revendications des associations et réseaux. En effet, les logements ne peuvent plus être considérés comme des biens marchands, tant ils influent sur les autres droits de base des personnes en situation de précarité.

La matinée d’échange avec les protagonistes du logement met à nouveau le doigt sur un constat établi à de nombreuses reprises et dans d’autres régions : un plan d’investissement massif dans le logement est essentiel ! Que ce soit sur le plan de la rénovation mais aussi de l’effectivité du droit au logement sécurisé, comme le rappelle Chritsine Mahy.

On le comprend, les revendications sont multiples et souvent complémentaires et la volonté d’interpeller le monde politique est réelle. Pour ne pas se contenter de discours démagogiques à l’approche des élections, prendre des mesures concrètes pour lutter de façon systémique pour le droit au logement s’avère être essentiel.

Conclusion

La journée du 23 novembre dernier a pu mettre en lumière la pertinence et l’efficacité du travail en réseau. Ces expert.es du logement, ces expert.es du vécu, des services sociaux et du travail de terrain travaillent déjà ensemble sur Charleroi.

Le renforcement des collaborations entre acteurs.trices de terrains, secteur public et secteur politique se confirme comme étant la clé des solutions d’avenir. Les nombreux témoignages dénotent d’une combativité, d’une créativité et d’une espérance profonde des associations de terrain, face à la problématique du logement dans la région et la ville de Charleroi. En clôture de ce colloque, Renato Pinto du CEFOC remarquait à juste titre que “le vocabulaire utilisé par les panelistes aujourd’hui n’est pas anodin : « combat », « justice », « lutte », « se battre », « s’unir », etc. C’est une véritable lutte au quotidien pour tous ces acteurs·trices de terrain.”

Les politiques s’engagent, aujourd’hui et dans d’autres lieux médiatiques, à renforcer les moyens pour fournir une marge de manœuvre aux villes, aux communes et aux structures d’accompagnements privées ou publiques. Mais ce discours ne suffit plus et les partenaires associatifs veulent des actes ! La créativité, la résilience et l’audace sont là… Mais les travailleuses et travailleurs sociaux se sentent esseulés. L’investissement d’importants moyens structurels pour venir à bout du mal-logement, voilà la revendication commune de tous les acteurs présents, à l’issue de ce colloque.

  • 1
    Cenci, J., Pouleur, J. A., & Becue, V. (2014). Territoire post-industriel en transition: entre vulnérabilité contemporaine et résilience territoriale. Les cas de Manchester et de Charleroi. Éthique et économique= Ethics and economics, 11(1).
  • 2
    Idem, p.89.
  • 3
    DERMINE, T., Un plan stratégique pour Charleroi dans Courrier hebdomadaire du CRISP, 2060, 2010, p. 5-46. (voir https://doi.org/10.3917/cris.2060.0005) et PLEITNIX, R., Charleroi, ville ouverte: une cartographie des possibles, 2018.
  • 4
    DERMINE, T., op. cit.
  • 5
    Ibidem.
  • 6
    Idem, p.11.
  • 7
    MEYER, S. et MARÉCHAL, K., Le marché résidentiel locatif en Région wallonne et dans ses 4 principaux centres urbains. Policy Papers CEB, 2018.
  • 8
    Idem.
  • 9
    MEYER, S. et MARÉCHAL, K., op.cit., et GHILANI, S. et PERCY, De la discrimination au logement au logement sans discrimination: création d’une agence de gestion locative à vocation sociale dans la région de Charleroi, s.d.
  • 10
    GHILANI, S. et PERCY, De la discrimination au logement au logement sans discrimination : création d’une agence de gestion locative à vocation sociale dans la région de Charleroi, s.d.
  • 11
    LELUBRE, M., LEMAIRE, E., et CASSILDE, S., Identifier et estimer la vacance immobilière résidentielle : quelle méthodologie ? dans Les Echos du Logement, 2015, p. 25-31.
  • 12
    On entend par « logement non-conventionnel » des abris tels qu’une tente, un garage, un squat, un accueil de nuit, une voiture, …
  • 13
    GODART, P., SWYNGEDOUW, E., VAN CRIEKINGEN Criekingen, M. et VAN HEUR, B. Les expulsions de logement à Bruxelles: combien, qui et où?, Brussels Studies, 176, 2023.
  • 14
    Étude de campagne Avent 2023 voir https://vivre-ensemble.be/outil/etude-de-campagne/