Un bol de soupe à coté d'une affiche "Quartier en lutte"
photo : asbl Coquelicot
Analyse

Le quartier Saint-Nicolas à Namur – partie II

par Jean-Pol Gallez
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La progression d’un combat social

Dans le premier volet de cette analyse, nous pointions une facette trop facilement cachée du phénomène de la « gentrification » : les conséquences sociales négatives de celle-ci. Le cas exemplaire du quartier Saint-Nicolas à Namur montre bien que la diversité sociale attendue se traduit, au contraire, souvent par un déclin massif de dynamisme local et, in fine, par le départ forcé des populations historiques du lieu. Fort heureusement, des résistances se font jour et s’organisent pour préserver le caractère populaire du quartier, améliorer les conditions de vie de ses habitants et construire des solutions collectives. Ce second volet entend faire le point sur la façon dont ce vrai combat social, déjà bien structuré, s’est enrichi de nouvelles initiatives concertées pour « redynamiser » la vie du quartier et assurer la participation citoyenne de toutes et tous.

Gentrification et « redynamisation »

Pour rappel1Voir l’analyse Le quartier Saint-Nicolas à Namur. Gentrification et résistance citoyenne (2024). Disponible sur https://vivre-ensemble.be/publication/analyse2024-02/, le phénomène de « gentrification » avait été défini, en substance, comme un processus de rénovation urbaine de quartiers populaires par des ménages plus aisés. Le caractère limité de cette approche avait été souligné à partir du moment où le phénomène conduit surtout à déposséder les habitants de leur vie sociale, économique et culturelle sous le coup, notamment, des avancées de la spéculation immobilière. Sous couvert de vouloir « redynamiser » la vie de certains quartiers, les villes demeurent en effet souvent prisonnières de logiques économiques faisant la part bien trop belle aux seuls objectifs du secteur de la construction et des multi-propriétaires. Toute l’ambiguïté du terme « redynamiser » a été soulignée précédemment. Utilisé par la ville lors du lancement de son marché d’études début 2022, l’expression est loin de recouvrir les réalités auxquelles pensent et aspirent les forces citoyennes et associatives d’un quartier populaire comme celui de Saint-Nicolas.  

Gentrification : petit « florilège » social

Lorsque la spéculation immobilière l’emporte, il devient impossible d’offrir un accès à des logements de qualité à des prix abordables. De même observe-t-on une hausse des expulsions suite à la revente des immeubles. De (trop) nombreux biens inoccupés sont en manque d’entretien et se dégradent. Par conséquent, les habitants s’en vont. Mais alors comment maintenir les petits commerces et les ‘cafés du coin’ ? Préserver le folklore et l’artisanat historique ? Espérer maintenir le visage intergénérationnel d’un quartier tendant à s’homogénéiser sociologiquement ? Est-il encore opportun d’installer des bancs lorsque la convivialité se perd ? Ou d’implanter un parcours culturel limité à l’importation artificielle de touristes dans une visée strictement patrimoniale et sans visibiliser le travail associatif ? Ces quelques points questionnent les orientations politiques sous-jacentes. Ils veulent alerter sur le risque de réduire l’objectif de redynamisation à une simple ‘politique d’aménagement du territoire’.

« L’immeuble ici a été vendu et on est tombé sur des nouveaux propriétaires peu scrupuleux. Ils nous mettent la pression pour qu’on parte le plus vite, il y a même eu du harcèlement psychologique de leur part. (…) Je veux trouver un autre logement, plus adéquat et dans les normes. La situation est stressante. Il y a eu de la pression des nouveaux propriétaires. Mon état psychologique est descendu, on a dû ré-augmenter mon traitement. Ça a un impact sur ma santé mentale, au niveau physique aussi, il y a énormément de fatigue à accumuler tout ça. Les autres locataires aussi sont fatigués de subir ce qu’ils ont encore à subir. (…) Moi, ce que je veux dénoncer, d’abord la première chose c’est la discrimination vis-à-vis des gens les plus pauvres qui n’ont pas les moyens de trouver un logement. C’est la mise en péril de la vie de certaines personnes qui se retrouvent à la rue ou dans des maisons d’accueil parce qu’ils n’ont pas le choix. On a plus de droit, je me sens sans droit par rapport au logement. (…) Ça va être dur de quitter le quartier Saint-Nicolas. J’avais quand même mes habitudes, mes amis. Dans le quartier, les gens du quartier, c’était pour moi comme une deuxième famille. Moi, je ne parle plus du tout à ma famille, je m’étais accroché aux gens du quartier. Un logement c’est plus qu’une pièce pour dormir, c’est aussi un lieu, un quartier dans lequel on se sent exister. C’est la première fois que je me sentais aussi bien intégré dans un quartier et que les gens ne me jugent pas pour mes problèmes psychologiques, sur mes problèmes physiques, je me sentais à ma place. (…) »

Témoignage de Jean-Marie, un habitant du quartier

Le politique : entre bonnes intentions et déceptions

L’étude de redynamisation2Quatre enjeux principaux ont été identifiés par les acteurs su quartier et ont donné lieu à un travail collectif : environnement et cadre de vie, accès au logement/gentrification, identité du quartier et mobilité. commandée par la ville entend favoriser la « co-construction avec l’ensemble des acteurs »3Communiqué de presse du 7 octobre 2022.. Le processus prévoit la constitution d’un panel citoyen dont le travail consiste à alimenter les contenus de ‘fiche-projets’ à valider par la ville. L’intention est évidemment louable ; sa concrétisation, beaucoup moins. Car sur le terrain, la démarche a plutôt été vécue comme une simple consultation tardive tandis que les fiche-projets n’ont que trop peu reflété toute la richesse du diagnostic posé, sous prétexte de « réalisme opérationnel et budgétaire ». Un certain nombre d’orientations ont aussi été prises en amont du panel citoyen prévu dans le processus. Ici aussi, la déception est parfois palpable du côté des associations et des habitants… Avec ou sans les gens – ou seulement « pour » eux ? Il y a bien deux manières assez opposées d’envisager la ‘redynamisation’ d’un quartier. Malgré un processus jugé trop rapide, la concertation de quartier, animée par l’asbl Coquelicot, a en tous cas investi beaucoup d’énergie pour que la voix des habitants soit prise en compte dans la version finale de l’étude, notamment en participant aux réunions du comité d’accompagnement technique de celle-ci.

Changer de logiciel

Le but n’est pas ici d’incriminer sans mesure un pouvoir politique dont les marges de manœuvre sont souvent étroites. Le propos vise, d’une part – et précisément – à questionner une dépendance certaine du politique à un modèle économique trop marqué par les intérêts privés et, d’autre part de l’appeler à élaborer une vraie vision en matière de logement et de la traduire en un plan global afin de ne pas se limiter à des projets particuliers. Dans ce contexte, il faut oser revendiquer un déploiement économique pensé à partir de la réalité socio-culturelle du quartier – et pas simplement « articulé » à elle – et réclamer beaucoup plus de participation démocratique afin de produire un plan cohérent et ancré dans les réalités du quartier. Sur ce point, il aura fallu toute la vigilance des acteurs associatifs par rapport au processus « participatif » proposé. Dans un timing jugé trop serré, ceux-ci ont réussi à se mobiliser assez largement afin d’enrichir le diagnostic de l’étude, à partir des vécus des habitants, et d’infléchir certaines orientations des fiche-projets.

Changer les mots, imaginer des chemins

Outre ces changements de cap souhaités, les acteurs locaux invitent aussi les politiques à travailler leur discours. Lorsque l’étude parle « d’attractivité » du quartier, le signal envoyé n’est pas celui d’un renforcement qualitatif de la vie socio-économique existante mais plutôt celui d’un appel lancé à des investisseurs dont la logique se limitera le plus souvent à l’impératif de rentabilité. Ou comment aider le politique à sortir d’une posture d’impuissance – parfois reconnue – face aux investisseurs, en commençant par les termes choisis ? Sur le fond, des pistes existent et méritent plus d’attention : fixer des balises pour l’attribution d’un logement, orienter le choix des commerces en fonction des besoins des habitants, imposer un quota de logement social aux privés, réaliser un cadastre des logements inoccupés … Tout en travaillant à maintenir les liens avec les autorités politiques de la ville, les acteurs du quartier poursuivent leurs missions de terrain. Petit aperçu des actions menées cette année.

Une lutte de plus en plus organisée

Parmi les actions concrètes réalisées en 2024 par les acteurs associatifs et les habitants, notons en vrac : une « marche du vide » et plusieurs campagnes d’affichage pour dénoncer la vacance immobilière de nombreux logements ; opérations porte-à-porte en vue de la création d’un syndicat de quartier ; construction en cours d’un site web pour visibiliser les actions ; conférence gesticulée participative avec Sarah De Laedt4https://conferences-gesticulees.net/conferences/jhabite-tu-habites-ils-speculent. sur la spéculation immobilière ; participation au « Housing action day »5https://housing-action-day.be/fr., à l’événement citoyen « Silence on parle »6https://periferia.be/silence-on-parle-a-namur. organisé par l’asbl Periferia et poursuite du développement du local de quartier co-géré, à terme, par les habitants, ces deux projets étant soutenus financièrement par Action Vivre Ensemble ; projet de création d’un réseau de services et d’entraide par la Maison Médicale…

photo : asbl Coquelicot

Outre ces entreprises dynamiques, les acteurs du quartier ont surtout travaillé à la mise en place de synergies nouvelles : réalisation et projection de court-métrages sur les enjeux et la vie du quartier avec l’aide du Centre Video de Bruxelles7Histoires d’Arsouilles : https://cvb.be/fr/films/histoire-darsouilles et (R)évolution urbaine : https://cvb.be/fr/films/revolution-urbaine. Disposant d’un pôle d’Éducation Permanente (« ateliers urbains »), le CVB est présent à Liège, Charleroi et à Namur pour « parler des villes en Wallonie ». ; collecte de récits et de témoignages d’habitants sur le logement en partenariat avec l’asbl « Média Animation »8https://media-animation.be. ; atelier sur la gentrification animé par le RWDH9Pour un exemple de travail effectué par le Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat en lien avec le quartier, voir https://rwdh.be/?ressource=plaidoyer-contre-linoccupation-et-la-marchandisation-du-logement. ; interpellations politiques croisées au Delta sur le droit au logement ; voyage d’une délégation du groupe d’action-logement à Montpellier pour rencontrer des collectifs et des lieux alternatifs qui luttent pour le droit au logement (dans le cadre du réseau Capacitation Citoyenne – Periferia et FAP)10Pour un article sur le projet, voir https://periferia.be/rencontre-du-groupe-actions-logement-a-montpellier/. Pour une présentation de l’association, voir https://fr.squat.net/tag/luttopia.; soirée d’échanges avec des représentants de la coopérative immobilière liégeoise « Les Tournières »11https://lestournieres.be. et la Fedicoop12https://www.fedicoop.be. Fédération wallone des Coopératives Immobilières agréées Entreprises Sociales. en vue de la création d’un projet similaire dans le quartier (infra) ; co-signature d’une interpellation politique rédigée à l’initiative d’Action Vivre-Ensemble et de la commission régionale namuroise Justice et Paix en vue des élections de juin ; rencontre avec Lea Galloy, cheffe de projet à l’Institut Alinsky13https://alinsky.fr. L’Institut promeut une démocratie d’interpellation pour la transformation écologique et sociale., pour réfléchir à la piste de la création d’un syndicat de quartier (infra). Toutes ces initiatives montrent l’importance de tisser et de faire vivre des partenariats.

Des projets ambitieux et durables

Mais ce n’est pas tout ! Le combat social entrepris vise aussi à structurer l’action dans le temps. Outre la concertation de quartier, l’assemblée des habitants, le rôle grandissant du collectif « kawa » et les groupes d’action existants, différents projets sont en cours de réflexion ou de mise en œuvre :

Un syndicat de quartier

L’idée émerge à la faveur des nombreux constats effectués auprès des habitants : insalubrité, réparations à charge du locataire, clauses contractuelles « limites » voire illégales, relations parfois difficiles avec l’Agence immobilière sociale… Lea Galloy insiste : « Créer un rapport de force sain et efficace demande de bons ingrédients, à commencer par bien identifier, mobiliser et former sa base sociale en prenant bien en compte sa situation de maltraitance et en valorisant son sentiment d’appartenance ». Un comité d’habitants pourrait voir le jour pour soutenir spécifiquement ce projet.

Une coopérative immobilière sociale (CIS)

Pour lutter contre la marchandisation du parc immobilier, quoi de mieux que d’acquérir ensemble des bâtiments ? La formule, mise en place depuis 2003 à Liège par « Les Tournières », vise à acquérir des bâtiments ou des terrains pour les mettre à disposition d’associations impliquées dans le secteur socio-culturel et dans l’économie sociale ainsi qu’à affecter tout ou partie de ces bâtiments, qui ne seraient pas occupés par ce type de projets, à du logement social ou à loyer modéré.L’idée séduit dans le quartier Saint-Nicolas. Elle permet de répondre aux différents problèmes évoqués ci-avant : pérenniser les activités à haute valeur sociale et culturelle, proposer un juste prix locatif, augmenter le volume et la qualité des logements, proposer un autre mode de gestion de l’immobilier (gouvernance partagée). Pour avancer, un atelier avec les habitants est déjà envisagé.

Action Vivre-Ensemble continuera à suivre de près et à soutenir ce combat citoyen en plein développement !

  • 1
    Voir l’analyse Le quartier Saint-Nicolas à Namur. Gentrification et résistance citoyenne (2024). Disponible sur https://vivre-ensemble.be/publication/analyse2024-02/
  • 2
    Quatre enjeux principaux ont été identifiés par les acteurs su quartier et ont donné lieu à un travail collectif : environnement et cadre de vie, accès au logement/gentrification, identité du quartier et mobilité.
  • 3
    Communiqué de presse du 7 octobre 2022.
  • 4
    https://conferences-gesticulees.net/conferences/jhabite-tu-habites-ils-speculent.
  • 5
    https://housing-action-day.be/fr.
  • 6
    https://periferia.be/silence-on-parle-a-namur.
  • 7
    Histoires d’Arsouilles : https://cvb.be/fr/films/histoire-darsouilles et (R)évolution urbaine : https://cvb.be/fr/films/revolution-urbaine. Disposant d’un pôle d’Éducation Permanente (« ateliers urbains »), le CVB est présent à Liège, Charleroi et à Namur pour « parler des villes en Wallonie ».
  • 8
    https://media-animation.be.
  • 9
    Pour un exemple de travail effectué par le Rassemblement Wallon pour le Droit à l’Habitat en lien avec le quartier, voir https://rwdh.be/?ressource=plaidoyer-contre-linoccupation-et-la-marchandisation-du-logement.
  • 10
    Pour un article sur le projet, voir https://periferia.be/rencontre-du-groupe-actions-logement-a-montpellier/. Pour une présentation de l’association, voir https://fr.squat.net/tag/luttopia.
  • 11
    https://lestournieres.be.
  • 12
    https://www.fedicoop.be. Fédération wallone des Coopératives Immobilières agréées Entreprises Sociales.
  • 13
    https://alinsky.fr. L’Institut promeut une démocratie d’interpellation pour la transformation écologique et sociale.