Noémie Winandy devant son ordinateur souriante à la caméra

Le logement est un droit mais il est trop souvent pensé comme une source de profit

Interview

Noémie Winandy est chargée d’études et analyses à Action Vivre Ensemble. Elle a rédigé l’étude de campagne 2023 sur le droit au logement, À bout de souffle. Parcours d’obstacles pour le droit au logement. Elle décrypte une situation chaque jour plus complexe et alarmante. Alors que rien ou presque n’a changé depuis des campagnes sur le même thème en 1993 et 2005. Faut-il désespérer ?

Le slogan de la campagne d’Avent est « Home sweet home ? Un droit, pas un luxe ! ». Se loger est devenu un privilège ?

Ce ne devrait pas l’être puisque le droit au logement est inscrit à l’article 23 de la Constitution. Pourtant, on peut se poser la question. En tout cas en ce qui concerne le fait de se loger décemment et pas dans des logements insalubres qui ne respectent aucunement la dignité humaine. Il y a des inégalités sociales systémiques qui empirent en termes de répartition des richesses qui s’additionnent à une explosion des prix de l’immobilier par manque d’encadrement des loyers combinée à un manque criant de logements sociaux. Pour peu que l’on n’ait pas de moyens, se loger dans ce contexte est un véritable casse-tête. Le logement est pensé comme un produit, un moyen de faire du profit, et non comme un droit. C’est d’ailleurs atavique en Belgique.

Y a-t-il trop peu de logements dans ce pays ou seulement trop peu de logements sociaux ?

On ne manque pas de logements : le phénomène de la vacance locative est énorme, y compris la vacance résidentielle et pas uniquement en ce qui concerne les bâtiments de bureaux. Il est interdit de laisser son logement vide trop longtemps mais, en même temps, c’est très difficile à détecter. De nombreux logements sont vides mais impayables, il faut les rendre accessibles via les AIS (agences immobilières sociales). De l’autre côté, il y a évidemment beaucoup trop peu de logements sociaux sur le marché par rapport à la demande. À Bruxelles, la moitié de la population de plus d’un million d’habitants est dans les conditions pour en bénéficier mais, en 2021, on dénombrait seulement 40.300 logements sociaux à Bruxelles, avec une attente de 7 à 19 ans ! En revanche, souvent, les budgets sont là mais il y a une telle complexité institutionnelle que, parfois, ils ne sont pas utilisés. Nombre de ces logements sociaux datent de l’après-guerre et ne correspondent plus du tout aux normes énergétiques ou de salubrité. Il faut rénover le bâti existant et construire des logements sociaux tout en arrêtant de bétonniser les campagnes !

Qu’est-ce qui vous a le plus étonnée en creusant le sujet de de la recherche de logement ?

J’ai trouvé que les aides et les processus à disposition des gens pour trouver un logement sont extraordinairement compliqués. J’ai essayé de me mettre à la place des personnes précarisées, isolées, traumatisées, peu éduquées qui se retrouvent dans des situations d’urgence et j’ai réalisé que c’était kafkaïen. Comment avoir accès à l’information quand vous êtes dans la rue sans accès à des administrations, sans téléphone ou ordinateur ? Nous avons tous vécu des traumatismes qui nous paralysent plutôt que de nous faire bouger : ce n’est pas du tout pris en compte. On dit aux gens « Remplissez tel formulaire, prenez rendez-vous et revenez dans deux semaines tel jour à telle heure. » Il faut arrêter de travailler en silos et renforcer les moyens humains de ces structures d’aide. C’est hallucinant de voir l’absence de coordination entre structures.

Quand on dit « mal-logement », n’a-t-on pas tendance à résumer la problématique au sans-abrisme sans voir qu’il concerne des gens et des réalités que nous connaissons tous ?

Absolument. Nous connaissons tous ces cas : c’est une femme avec enfants séparée qui ne peut trouver de logement à prix abordable, ce sont des retraités qui ont travaillé toute leur vie mais dont la pension n’est pas suffisante, ce sont des gens qui sont obligés de vivre hors de la ville vu le prix des loyers mais se retrouvent sans transports en commun… Ces cas n’ont rien à voir avec le sans-abrisme et ne sont pas des cas isolés ou marginaux.

Quelles sont les pistes alternatives, citoyennes par exemple, expérimentales peut-être, pour offrir du logement ?

Ça, c’est la bonne surprise. Il y a pléthore d’initiatives citoyennes qui existent parce qu’il y a un manque au niveau des pouvoirs publics. En Écosse, par exemple, une mobilisation citoyenne (Living Rent) a obtenu un gel des loyers et des expulsions. Il y a plein de petites structures chez nous comme Sortir du bois, à Liège, qui est né du Covid : des gens à la rue se sont retrouvés du jour au lendemain sans la moindre possibilité de prendre un café ou une douche et se sont réfugiés sur les Coteaux de la Citadelle. L’association a été chercher ces gens pour les aider et installe des caravanes et des habitats légers sur des terrains prêtés afin de loger des personnes sans abri.

Etre femme, seule, avec des enfants, c’est la double, triple peine quand on cherche un logement et encore plus qu’on vit dans la rue ?

Incontestablement. La femme est désavantagée en termes de salaire, de pension. Quand elle se retrouve dans la précarité, l’effet est démultiplicateur : un salaire ne suffit pas comme famille monoparentale, les propriétaires rechignent à louer à une femme seule avec des enfants qui abîmeront peut-être le bien ou parce qu’elle ne fera pas elle-même les menus travaux… La configuration de la famille a changé mais les familles monoparentales sont vues comme marginales alors qu’elles sont majoritaires. Par exemple, les logements sociaux ne sont pas non plus adaptés à cette nouvelle donne. Et quand cette femme est à la rue, il y a invisibilisation : elle se camoufle ou se cache pour se protéger. Cela va jusqu’au dénigrement de sa personne physique, jusqu’à ne plus se laver, à modifier son timbre de voix pour éviter les assauts sexuels des hommes.

Quelles sont les mesures les plus urgentes à prendre, les revendications les plus urgentes à lancer aux politiques dans la perspective de la grande séquence électorale de 2024 ?

D’abord, il faut sortir de la logique de marchandisation des logements et cela passe par l’encadrement des loyers. Chez nous, l’encadrement des loyers existe à titre purement indicatif. Il y avait un filet de sécurité qui consistait à lier à restreindre l’indexation des loyers pour les biens qui ont mauvais PEB mais cette mesure est supprimée cet automne. Ensuite, il faut mener des politiques de sortie du sans-abrisme en allouant plus de moyens au « housing first » : on considère enfin du côté des pouvoirs publics que le logement est un point de départ vers l’insertion et non quelque chose que l’on mérite parce que l’on travaille. Mais, pour que cela marche, il faut absolument un accompagnement de qualité pérenne et durable et donc un renforcement des moyens financiers et humains des associations car les travailleurs sociaux et les travailleuses sociales explosent littéralement.

Couverture de la publication : À bout de souffle - Parcours d'obstacles pour le droit au logement

Étude

A bout de souffle

Étude de campagne 2023

Si l’accès à un logement décent est un droit et à ce titre inscrit dans notre Constitution, il est aisé de se rendre compte qu’il ne l’est pour beaucoup que sur papier.