Trois femmes souriantes, bras-dessus bras-dessous
L’équipe de Brise le silence (de gauche à droite) : Ingrid Poetter, Pascale Urbain et Gwendoline Faravel

Il n’y avait aucune écoute pour les victimes de violences sexuelles, juste des médicaments

À Mons, l’association Brise le silence (BLS), soutenue sur une base triennale par Action Vivre Ensemble, fait figure de pionnière : menée par des femmes résilientes, elles-mêmes victimes de violences sexuelles dans le passé, BLS fait le pari de la pair-aidance, un cas unique dans ce secteur. Pascale Urbain, présidente et fondatrice de l’association, l’a créée sur base de sa propre expérience de vie.

Comment est née Brise le silence ?

J’ai créé l’association en 2015 suite au piratage de la page Facebook que j’avais créée. J’y invitais les gens à venir exprimer leur souffrance par rapport aux violences sexuelles. Comme ancienne victime de telles violences dans mon enfance, je pensais que cela ne concernerait que quelques personnes mais le succès m’a dépassée. Cela faisait douze ans que je travaillais dans un service de prévention aux assuétudes et je constatais qu’il n’existait rien pour les victimes. Les troubles psychologiques étaient traités en envoyant les gens à l’hôpital psychiatrique, en les abrutissant de médicaments. J’ai connu ce parcours. Il n’y avait pas la moindre écoute et l’on ne faisait pas du tout le lien entre ces violences et des troubles comme les idées suicidaires, les addictions à la drogue ou l’alcool, l’hypersexualité, les troubles du comportement alimentaire ou des sentiments comme la honte, la culpabilité, la perte de l’estime de soi. Si la personne qui vient n’est pas écoutée, c’est foutu : on rajoute une couche de traumatisme. Les psychologues que je voyais au travail étaient incapables d’écouter et d’accueillir ces victimes avec respect, tenaient des propos déplacés et moqueurs vis-à-vis d’elles.

Comment cela se fait-il ?

Les psychiatres et psychologues ne sont pas formé·es à ces traumatismes. En psychiatrie, on trouve 90% de victimes de violences. Il faut arrêter de psychiatriser les gens ! Et remplacer les médicaments par l’écoute. Nous souhaitons créer notre propre formation car celle qui se donne à l’UMons ne recouvre pas la question des violences sexuelles alors que la majorité des personnes qui la suivent sont des victimes de ces violences dans leur enfance. Elles ont connu la toxicomanie, l’alcoolisme, le sans-abrisme, la prostitution, le parcours en psychiatrie, mais la cause est dans ces violences dans l’enfance. Ces traumas agissent comme une bombe à retardement : nous l’enfouissons parfois durant des décennies et, d’un coup, tout vous revient à la figure. On retrouve cela chez chaque victime et chez chacune d’entre nous travaillant ici. Ce sont ces victimes-là que nous recevons.

« Il n’y avait aucune écoute pour les victimes de violences sexuelles, juste des médicaments »

Pascale Urbain

Vous êtes la seule association à travailler de la sorte en Belgique : l’aide publique suit-elle ?

Absolument pas ! La parole s’est libérée, nous recevons de nouvelles victimes tous les jours, les médecins aussi nous en envoient. Mais nous ne sommes toujours que 2,75 ETP, tout le reste de l’équipe étant des bénévoles. Le fédéral a créé un CPVS (Centre de prise en charge des violences sexuelles) par province. Ces centres occupent 15 personnes mais on nous demande à nous d’aller y former le personnel policier et hospitalier. Les CPVS s’adressent aux personnes qui viennent de vivre une agression sexuelle dans le mois précédent. Mais, nous, nous voyons arriver des gens qui en ont été victimes il y a 20, 30, 40 ans. Là, cela n’intéresse plus personne. Or, il y a bien plus de victimes du passé que du présent. Ce sont des décisions politiques. À côté du projet à trois ans avec Action Vivre Ensemble, nous bénéficions d’un subside de la Région wallonne mais il n’est pas structurel. Avec la Communauté française, nous avons un projet collectif avec La maison plurielle de Charleroi.

Quel est l’objectif réaliste d’un tel accompagnement ?

Des personnes qui étaient lourdement psychiatrisées sortent d’ici transformées. Cela les aide à se réinsérer socialement et professionnellement. Notre objectif, c’est qu’elles reprennent une activité – formation ou travail – hors de chez nous. La pair-aidance, c’est aussi de la réinsertion, par exemple comme bénévole ici. On a aussi des personnes dans la soixantaine, elles ne reprendront jamais le travail mais participer à nos activités (groupes de parole, hippothérapie, hydrothérapie, ateliers créatifs et d’écriture…) les sociabilise.

Pionnières de la pair-aidance

« En 2015, j’ai été victime de violences. À la recherche d’une aide, j’ai appelé SOS Viol qui… ne m’a jamais rappelée. J’ai trouvé Brise le silence sur internet, j’ai appelé et je suis tombée sur Pascale qui, immédiatement, m’a écoutée et proposé de venir. Entourée de paires qui me comprennent, je me suis enfin sentie écoutée et vivante. » Depuis, Ingrid Poetter n’a plus quitté BLS. Comme bénévole, puis aujourd’hui comme employée, elle est, avec Gwendoline Faravel, une des chargées de projet et paires-aidantes de BLS.

Elles détaillent la méthodologie : « Pascale Urbain a vu que le fait de partager son expérience profitait aux gens qui venaient nous voir mais qu’il fallait un cadre théorique. On a constitué des binômes. La travailleuse sociale va apporter un cadre dans la rencontre alors que la paire-aidante va raconter son propre parcours de vie. Il n’y a plus la peur d’être face à une thérapeute qui n’a pas vécu la même chose. Il y a quelque chose qui se passe dans ces rencontres qui créent un lien de confiance immédiat. Comme anciennes victimes, nous pouvons partager notre vécu aux personnes qui viennent nous voir, ce que nous avons mis en place pour aller mieux, les difficultés… Cela porte ses fruits, on l’observe par les retours, les remerciements, les messages, la resocialisation. »

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