3 personnes bras dessus - dessous face à la caméra
photo par Frédéric Pauwels / Collectif HUMA

Le Graal de La Table ronde à Charleroi : nourrir le corps et l’esprit

Résistances

Au départ de l’aide alimentaire, La Table ronde (référence aux origines templières de l’ASBL) déploie dans le centre de Charleroi un « café solidaire » destiné à renforcer le lien social en douceur et soutenu par Action Vivre Ensemble.

Espace culturel niché derrière le boulevard Tirou, le QG des Artistes est aussi devenu récemment celui de La Table ronde. Eric Dricot, son viceprésident, ne manque ni d’idées ni d’enthousiasme. « Si je pouvais, j’ouvrirais déjà un deuxième ‘café solidaire’ », rigole-t-il. Ce n’est pourtant pas le boulot qui manque : désormais, chaque lundi, les lieux accueillent les nombreux ateliers proposés par l’association.

Pour Eric Dricot, c’est un cheminement naturel qui s’est dessiné au départ de l’aide alimentaire : « Bien sûr, c’est indispensable de se nourrir pour vivre mais, plus on avance, plus on se rend compte que c’est aussi impossible de vivre sans liens sociaux. Il faut nourrir le corps mais aussi l’esprit. C’est ce que nous faisons ici. En 2017, on a démarré en faisant des maraudes dominicales. On allait jusque dans les camps de personnes sans abri, dans les bois autour de la ville. On distribuait de la soupe mais on a vite vu que cela ne suffisait pas, qu’il fallait mettre des pâtes dans la soupe, fournir des vêtements. Alors, on a lancé une distribution mensuelle de colis alimentaires avec un budget de 1000 euros par mois. Avec le covid, on a vu arriver des familles. On ne fait plus de maraudes. Désormais, notre public (300 personnes), c’est 85% de familles, 15% de gens de la rue. Mais, nous, on ne veut pas faire de l’assistanat. On veut aider les gens, mais d’une façon constructive. On veut leur rendre leur dignité. »

Suite logique : La Table ronde s’est dotée de ce fameux « café solidaire ». Le soutien d’Action Vivre Ensemble permettra de financer l’ensemble de ses activités en 2025. À savoir ? On peut catégoriser de la manière suivante les ateliers : ceux qui sont dédiés à la « beauté extérieure » (relooking, manucure, soins du visage, massage des mains…), les ateliers « beauté intérieure » ou bien-être (méditation, câlinothérapie, gymnastique douce, parole/écoute…) et les ateliers artistiques.

Composée entièrement de bénévoles (y compris les nombreux bénéficiaires des colis alimentaires qui donnent un coup de main au « café solidaire »), l’équipe ne peut dispenser d’aide juridique ou psychologique. À part celle du bon sens : « Les gens nous parlent, on prend des notes. On est là pour les soutenir. On les suit quasiment au quotidien. J’ai des contacts tous les jours avec plein de gens. On n’est pas là pour donner et les gens ne viennent pas pour recevoir. Ils viennent pour discuter, pour parler. Ils ont besoin de liens sociaux. Quand on fait de l’aide alimentaire depuis des années, on parle avec les gens et, là, on comprend que leur besoin social est énorme. Et que le lien social conditionne aussi en partie le fait de ne pas retomber dans la rue. Nos ateliers parlent des problèmes concrets des gens mais ce n’est pas le sujet des ateliers : on n’utilise pas de grands mots qui font peur comme ‘alphabétisation’. Disons que l’idée est d’apprendre sans s’en rendre compte, de créer du lien social sans le dire ! »

« Je suis très ému parce que je viens d’apprendre que je suis accepté à la maison d’accueil Le Tremplin, à Arlon. J’ai été y déposer une candidature mais à d’autres endroits aussi, comme à Namur. J’ai les larmes aux yeux car c’est enfin une solution, je pense, pour moi, mais en même temps j’ai l’impression de quitter cette famille. Je vivais dans la rue, je dormais dans des abris de nuit, mais j’étais tous les jours dehors. J’ai été dans des abris de jour mais c’était juste des lieux de passage. Je suis resté six mois dans la rue, puis à l’hôtel social de Lodelinsart. J’ai rencontré La Table ronde lors d’une maraude, puis je me suis présenté comme bénévole pour l’aide alimentaire. Ici, je vois des gens, c’est une famille. Oui, c’est une famille pour moi. Quand j’ai eu besoin de certaines personnes d’ici, ils étaient là pour moi, et maintenant je rends la pareille en étant bénévole. »

Hans Dubois
portrait d'un homme

Et c’est aussi sur les bonnes volontés que reposent les ateliers. « J’ai simplement fait un appel sur les réseaux sociaux », raconte Eric Dricot. « Et plein de gens qui ont une petite compétence m’ont répondu. Une coiffeuse, une manucure, des gens qui se proposent d’animer des ateliers de gym douce, de zumba, de slam, de danses country ou de peinture abstraite. On fera une exposition à la fin de l’année avec les travaux des bénéficiaires. Ils et elles se découvrent des talents insoupçonnés, des potentialités ignorées ! » Une fameuse victoire sur la vie.

« Au 1er janvier 2023, mon compagnon m’a jetée à la rue avec mon fils de 12 ans. Du jour au lendemain, je me suis retrouvée dans la précarité. Il m’a dit que je devais dégager, c’était un pervers narcissique qui m’a détruite, quelqu’un de très, très agressif psychologiquement, et violent quand il avait bu un petit verre. C’était dur pour mon petit garçon. J’ai squatté chez des amis au départ, puis chez mon fils aîné, qui vit en logement social. Mon ex voulait que je me domicilie là, ce n’était pas possible. Donc, au final, j’ai dû rester dans ma voiture. J’ai pu mettre mon fils à l’abri de cela. Il est allé chez ma soeur, qui est sa marraine, et chez son grand frère en vacances. Et moi, je suis restée deux mois dans ma voiture. J’ai pu récupérer un logement social au mois d’août suivant. Quelque temps après, j’ai connu le véritable contrecoup : j’étais en PFI (plan formation-insertion du Forem) pour devenir secrétaire de direction, mais, étant tombée à la rue et sans adresse, j’ai été radiée par le CPAS, je ne recevais plus les courriers, les factures, et j’ai été exclue de la formation. C’était la totale. Je suis tombée dans une grave dépression, j’y suis encore : quotidiennement, quand mon fils n’est pas là, je dois lutter contre la tentation de mettre fin à mes jours. Je commence à remonter la pente grâce au projet ‘Maman Miriam’ du CPAS de Charleroi contre l’isolement des mamans solos. Puis, j’ai vu la page Facebook de La Table ronde, j’ai regardé un peu les événements et j’ai demandé si c’était ouvert à tout le monde. Et donc, je suis venue. Et j’ai découvert un milieu dans lequel il n’y a pas de jugement. C’est vraiment chouette parce qu’on découvre plein de choses. On met en place des ateliers qui peuvent nous aider, des ateliers créatifs, de parole, de bien-être. Je trouve ici de l’écoute, du soutien, je viens comme bénévole pour l’aide alimentaire. Tout se fait naturellement. Quand j’ai un coup de mou, Eric me rebooste en me disant que j’ai du potentiel. Et le fait d’avoir un peu cette casquette de bénévole aussi, j’écoute les problèmes des autres et bizarrement, de par mon vécu, je trouve des solutions pour des personnes. Je les aide. Et le fait de voir que ça leur fait du bien, que ça leur apporte quelque chose de bon, à moi ça me fait du bien aussi. »

Mylène Mangon

portrait d'une femme
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