Une jeune personne allongé sur le dos se cache le visage avec les mains
photo par Anthony Tran
Analyse

Précarité menstruelle : Bousculons les règles !

par Orane Caryn
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Les règles… un sujet encore tabou aujourd’hui pour lequel les synonymes ne manquent pas ! Si en parler ouvertement n’est pas encore à l’ordre du jour, cela l’est encore moins pour des milliers de belges touchés par ce que l’on appelle la ‘précarité menstruelle’. Dans cette analyse, nous en aborderons les conséquences et nous nous pencherons sur les revendications des acteur·trices qui luttent au quotidien pour une meilleure santé menstruelle.

Une nouvelle forme de précarité

Si les règles concernent directement la moitié de la population mondiale, elles sont encore trop souvent associées à quelque chose de sale et/ou à cacher.

En Belgique, la population menstruée représente 23,5% de la population totale, soit près de 3 millions de personnes. Le début des règles ayant lieu vers l’âge de 12-13 ans et la ménopause (c’est-à-dire la fin des règles) aux alentours de 50 ans, on estime qu’une vie menstruelle dure plus ou moins 38 ans et que cela représente environ plus de 500 cycles menstruels1LEJEUNE, R., Précarité menstruelle: où en est la Belgique ? dans Famille, Culture et Education, analyse 427, 2021. Disponible sur https://www.cpcp.be/wp-content/uploads/2021/04/precarite-menstruelle.pdf. Sans surprise, ces menstruations ont un coût non négligeable (achats de protections et de médicaments, visites chez le gynécologue, etc.). Pour les personnes en situation de précarité, elles représentent donc une charge financière et mentale supplémentaire. En effet, de nombreuses personnes en situation de pauvreté sont confrontées à ce qu’on appelle la précarité menstruelle qui les empêche d’accueillir chaque mois leurs règles de façon digne et confortable.

Une précarité financière, mais pas que

Il semble évident que la cause principale de la précarité menstruelle soit l’aspect financier : on estime qu’une personne menstruée dépense une dizaine d’euros par mois représentant un montant d’environ 5300€ au cours de la vie menstruelle2TOUKABRI, M., Précarité menstruelle : Ça coûte combien les règles dans la vie d’une femme ? dans Calepin, 2019. Disponible sur  https://calepin.be/precarite-menstruelle-ca-coute-combien-les-regles-dans-la-vie-dune-femme/. Pourtant, la précarité menstruelle n’est pas seulement une précarité financière. En effet, comme toute autre forme de précarité, elle est due à de multiples facteurs et déterminants sociaux qui ont trait à l’éducation, l’accès à des infrastructures, de droits, d’égalité de genres et de santé publique. Dès lors, nous suivrons la définition proposée par Synergie Wallonie pour l’égalité entre les femmes et les hommes ASBL3MULLENS, L., La précarité menstruelle en Fédération Wallonie-Bruxelles. Rapport d’enquête, Synergie Wallonie pour l’égalité entre les femmes et les hommes asbl, 2022. Disponible sur https://synergie-wallonie.org/wp-content/uploads/2022/07/Rapport-Precarite-Menstruelle-Synergie-Wallonie.pdf :

La précarité menstruelle, c’est :

  • La difficulté, voire l’impossibilité rencontrée par les filles et femmes d’accéder, principalement pour des raisons financières, à des protections périodiques adaptées, de leur choix, et en suffisance.
  • Le manque d’accès à :
    • Des sanitaires permettant l’utilisation sécurisée et hygiénique des produits périodiques ;
    • Des soins et diagnostics adaptés aux douleurs et aux maladies liées au cycle menstruel ;
    • De l’information précise et accessible sur le cycle menstruel et les menstruations permettant à toutes de vivre leurs menstruations en toute sécurité et dignité.

Si l’aspect économique de la précarité menstruelle est évident, il est bien de se rappeler que la santé menstruelle est également une question de santé publique qui mérite d’être traitée à l’échelle nationale. En effet, il est important de rappeler que la précarité touche plus particulièrement les femmes victimes de double, triple voire quadruple peines en fonction de  leur origine sociale, ethnique ou encore de leur situation économique. La précarité menstruelle constitue donc un problème supplémentaire pour les personnes menstruées déjà fragilisées par le système4Égalité entre les femmes et les hommes en Wallonie – Revenus, pauvreté et dépendance financière des Wallonnes et des Wallons, Cahier 4, IWEPS, 2019. Disponible sur https://www.iweps.be/wp-content/uploads/2019/10/HF-Cahier4.pdf. Parmi les personnes menstruées en situation de précarité, les personnes sans-abris, sans papiers, migrant.es ou incarcérées auront d’autant plus de mal à avoir accès aux protections, à l’information (barrière de la langue, peu d’accès à l’éducation,…) et à des infrastructures propres et sécurisées pour se changer de façon digne. Dès lors, être en situation de précarité menstruelle ne permet pas d’avoir une bonne santé menstruelle5La santé menstruelle se définit comme « un état de bien- être physique, mental et social en relation avec le cycle menstruel et comprend l’accès à l’information, l’accès aux produits menstruels, l’accès aux soins et traitements pour les troubles et maladies liées au cycle menstruel, l’accès à un environnement positif et dépourvu de tabous et enfin, le libre choix de participer à toutes les sphères de la vie pendant toutes les phases du cycle menstruel ». (MULLENS, L., op.cit., p. 23). ce qui peut dans certains cas avoir de graves conséquences sur la santé mentale et physique des personnes menstruées.

Conséquences de la précarité menstruelle

Pour pallier la difficulté de se procurer des protections hygiéniques, les personnes en situation de précarité ont recours à diverses stratégies pour limiter les dépenses : demander de l’argent ou des protections à d’autres personnes ou dans la rue, le vol, l’utilisation de papier toilette ou de mouchoirs, l’achat de produits de mauvaise qualité, la réutilisation des protections hygiéniques, une faible fréquence de change, l’utilisation de couches pour enfants ou devoir porter des vêtements tachés…6Idem.. Certaines de ces pratiques sont évidemment dangereuses car elles augmentent le risque de maladies et d’infections tel que le choc toxique, infection potentiellement mortelle causée par une bactérie qui peut survenir lorsqu’une personne ne change pas de protections toutes les 4h à 6h7Faudrait pas s’en tamponner : C’est quoi le choc toxique ?, Inserm, 2020. Disponible sur https://www.inserm.fr/c-est-quoi/faudrait-pas-en-tamponner-c-est-quoi-choc-toxique/.

Ces problèmes de santé sont principalement liés au manque d’accès aux soins, aux conseils et à l’information et au fait qu’il y a encore trop peu d’éducation à ce sujet dans les établissements scolaires et autres lieux publics. Heureusement, des progrès ont été réalisés dans le domaine de l’éducation mais cela reste insuffisant pour lutter contre la précarité menstruelle. En effet, selon l’étude menée par Synergie Wallonie, seulement 40% ont reçu de l’éducation formelle8L’éducation formelle se définit comme « l’enseignement organisé et dispensé à l’école et qui est explicitement désigné comme apprentissage (en termes d’objectifs, de temps ou de ressources). L’apprentissage formel est intentionnel de la part de l’apprenant; il débouche généralement sur la validation et la certification». Voir https://www.grainesdepaix.org/fr/ressources/dictionnaire/education-formelle-non-formelle-informelle. aux menstruations9MULLENS, L., op.cit..

Outre les problèmes de santé, la précarité menstruelle est responsable également de décrochage scolaire et d’exclusion sociale : lorsqu’une personne en situation de précarité menstruelle ne peut pas se procurer des protections adaptées et en suffisance, elle est parfois contrainte de rester chez elle et donc, de manquer l’école, le travail et autres activités. À cela s’ajoute parfois un sentiment de honte dû à la stigmatisation des règles et de la précarité. La précarité menstruelle engendre donc des conséquences aussi bien sur la santé physique que sur la santé mentale (stress, anxiété) lorsqu’il faut par exemple faire le choix entre se nourrir ou acheter des protections10MARTINEZ, V., ‘Je mange ou je saigne ?’ Le tabou de la précarité menstruelle dans Politique, n° 124, 2024. Disponible sur https://www.revuepolitique.be/je-mange-ou-je-saigne/.  

Des associations qui changent les règles

Il existe des associations actives dans la lutte contre la précarité menstruelle. Malheureusement, ces acteurs de terrain restent encore trop peu connus et souffrent d’un manque de visibilité. Selon Synergie Wallonie, seulement 5% des personnes en situation de précarité menstruelle font appel aux associations de terrain11MULLENS, L., op.cit.. Parmi ces initiatives, il y a :

BruZelle est une association de lutte contre la précarité menstruelle et contre le tabou des règles depuis 2016. L’association a  trois missions principales : la collecte et la distribution de protections hygiéniques, la sensibilisation et l’éducation ainsi que le conseil et l’expertise12Voir https://www.bruzelle.be/fr/. BruZelle offre différentes façons de s’investir dans la lutte contre la précarité menstruelle notamment en devenant point de collecte13L’ensemble des points de collecte est disponible ici : https://www.bruzelle.be/fr/points-de-collecte/. Toute personne ou association (CPAS, club de sport, etc.) qui le souhaite peut demander à être un point de collecte et ainsi récolter des protections hygiéniques et du tissu. BruZelle organise également des ateliers de confection de trousses en tissu d’une part et de remplissage de trousse avec des protections d’autre part. Les relais locaux (associations, ONG) peuvent se porter volontaires pour distribuer les trousses remplies aux personnes en situation de précarité menstruelle.

Dans le même ordre d’idée, Soralia en collaboration avec les Centres de Planning Familiaux ont lancé le projet Sang Souci14Voir https://lesassociationssolidaris.be/portfolio-items/sang-souci/ dont la principale mission est la récolte et la distribution de protections hygiéniques aux personnes précarisées. De ce projet découlent trois objectifs: l’apport d’une aide concrète sur le terrain via la distribution des protections, le renforcement des liens et la solidarité entre les différents acteurs de terrain mais également la sensibilisation du grand public sur les risques liés à la précarité menstruelle. Le projet Sang Souci insiste sur le fait que toutes les femmes et personnes menstruées doivent avoir accès aux soins de manière égale et qu’il est impératif de lutter contre la responsabilisation excessive des personnes menstruées15Voir https://lesassociationssolidaris.be/portfolio-items/sang-souci/.

Le collectif Belges et Culottées lutte quant à lui contre la taxation des protections hygiéniques et leurs prix encore trop élevés. La principale action de Belges et Culottées est de mener un plaidoyer politique au niveau fédéral via une pétition largement diffusée au sein de notre pays16Voir https://belgesetculottees.jimdofree.com/.

Le relais politique de ces associations et organismes de terrain est crucial afin de rendre compte de la précarité menstruelle à la fois au niveau politique via des interpellations mais également au niveau de la société civile via l’éducation dès le plus jeune âge17LEJEUNE, R., Précarité menstruelle: où en est la Belgique ? dans Famille, Culture et Education, analyse 427, 2021. Disponible sur https://www.cpcp.be/wp-content/uploads/2021/04/precarite-menstruelle.pdf. C’est notamment grâce à la pression du secteur associatif qu’en 2017, la “taxe tampon” (la TVA sur les tampons) est passée de 21% à 6% en Belgique18Fin de la taxe tampon: le taux de TVA des produits d’hygiène féminine passe à 6%, RTBF, 6 octobre 2017. Disponible sur https://www.rtbf.be/article/fin-de-la-taxe-tampon-le-taux-de-tva-des-produits-d-hygiene-feminine-passe-a-6-9728820. Bien que cela reste insuffisant pour éradiquer la précarité menstruelle, il est important de souligner cette avancée.

Quelles pistes pour l’avenir ?

Les revendications du secteur associatif et des organismes luttant pour la santé menstruelle sont claires19MULLENS, L., op.cit.. Tout d’abord, il est nécessaire d’aborder la question de la précarité menstruelle dans sa globalité. Il est important de rappeler que la précarité menstruelle est un enjeu de santé publique qui nous concerne toutes et tous et pas un sujet de niche. Dès lors, le secteur associatif a proposé des actions concrètes à entreprendre telles que :

  • Renforcer l’accès à des protections hygiéniques en diminuant leur coût d’une part et d’autre part, en favorisant la distribution de protections dans les espaces publics puisque l’aspect économique est le principal frein à une bonne santé menstruelle.
  • Renforcer l’accès à l’information et à l’éducation sur la santé menstruelle mais également sur tous les aspects du cycle menstruel. Cela passe par le fait d’augmenter et d’améliorer le contenu, la sensibilisation et l’éducation aux menstruations dans les établissements scolaires et ailleurs, par une meilleure formation des professionnels de la santé et des acteur.trices de première ligne ou encore par la création d’espaces de discussion.
  • Renforcer l’accès à des sanitaires adaptés, c’est-à-dire propres, intimes et sécurisés (portes, poubelles, évier,…) dans les écoles, la rue et autres espaces publics. Il faut également rénover les infrastructures et informer sur les sanitaires publics tout en assurant leur gratuité. 

Ensuite, il est important de visibiliser et de soutenir les associations et organismes luttant contre la précarité menstruelle. D’une part, en valorisant les actions menées et les services proposés par ces associations et d’autre part, en les aidant à couvrir leurs besoins en palliant le manque de financement et de main d’œuvre20MULLENS, L., op.cit..

Finalement, il est impératif de prendre des mesures aux niveaux fédéral et régional de sorte que le sujet de la santé menstruelle soit abordé de façon structurelle notamment via la gratuité des protections hygiéniques (voir encart).

Gratuité des protections hygiéniques : testé et approuvé

L’accès aux protections hygiéniques doit être considéré comme un droit fondamental et est l’un des principaux leviers pour lutter contre la précarité menstruelle. Certains pays ont déjà pris des mesures parfois inédites et sans précédent. C’est le cas du Parlement autonome d’Ecosse qui, en février 2020, a voté pour l’élaboration d’un projet de loi visant la gratuité des protections hygiénique. Cette loi inédite est finalement entrée en vigueur le 15 août 2022. Depuis cette date, il est possible de se procurer des protections gratuitement dans toutes les institutions éducatives et au sein des collectivités locales (pharmacies, mairies, bibliothèques, piscines,…). Monica Lennon, qui a rédigé la loi, a rapidement souligné les effets positifs sur la population écossaise et au sein d’autres nations. En effet, selon l’autrice, cette loi a permis un changement culturel massif ainsi qu’une déstigmatisation autour des règles. En outre, suite à cette loi, des pays tels que la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud ont instauré la gratuité des protections dans les établissements scolaires tandis que d’autres pays envisagent de voter des lois similaires. En Angleterre et en Australie, toutes les toilettes des écoles sont munies de distributeurs de protections hygiéniques. Il est important de mentionner que le public estudiantin est fortement touché par la précarité menstruelle. Cela démontre également que la mise en place de ce type de mesure est fondamental pour lutter contre la double peine subie par les personnes menstruées : les inégalités de genres et l’aspect financier liés aux menstruations. D’autres initiatives ont également pris place par exemple en Irlande où la chaîne de magasins LIDL offre 1 boite de protections par mois aux personnes précarisées.21Sources : LEJEUNE, R., op. cit.,

RAVIT, M., La précarité menstruelle en Afrique subsaharienne: une question taboue, 2021.

L’Écosse ouvre la voie à la gratuité des protections périodiques pour toutes les femmes, RTBF, 26 février 2020. Disponible sur rtbf.be/article/l-ecosse-ouvre-la-voie-a-la-gratuite-des-protections-periodiques-pour-toutes-les-femmes-10441721

L’Écosse montre la voie en offrant un accès gratuit aux protections périodiques dans Courrier international, 2022. Disponible sur courrierinternational.com/article/sante-publique-l-ecosse-montre-la-voie-en-offrant-un-acces-gratuit-aux-protections-periodiques

Ecosse – Les produits menstruels seront disponibles gratuitement dès lundi, La Presse, 13 août 2022. Disponible sur lapresse.ca/international/europe/2022-08-13/ecosse/les-produits-menstruels-seront-disponibles-gratuitement-des-lundi.php

De la précarité à la santé menstruelle, Conseil Wallon de l’Egalité entre Hommes et Femme, avis n°84, 2021. Disponible sur cesewallonie.be/sites/default/files/uploads/avis/CWEHF_84_1.pdf

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