Bien vieillir. Le privilège d’une minorité ?
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Nous vieillissons, c’est un fait universel. Plus précisément, nous vivons de plus en plus vieux (avec un différentiel de 4 ans à l’avantage des femmes)et nous sommes plus longtemps en bonne santé qu’auparavant. Pourtant, si la vieillesse est un état ou un stade que nous serons une grande majorité à connaitre, la société n’est ni adaptée, ni toujours tendre avec ses ainé·es, particulièrement avec les plus précarisé·es d’entre nous. Le vieillissement de la population représente un réel défi actuel et nécessite la mise en place de nouvelles politiques.
En Europe, les personnes de plus de 65 ans représentent plus de 20% de la population, et ce taux continue d’augmenter 1Statistic Explained: structure et vieillissement de la population, Eurostat, février 2025. Disponible sur ec.europa.eu/eurostat . En Belgique en 2023, l’espérance de vie moyenne était de 82 ans, soit 13 ans de plus qu’en 1960. 2Tables de mortalité et espérance de vie, Statbel, juillet 2024. Disponible sur statbel.fgov.be Cette étape de vie, souvent surnommée de manière assez réductrice de ‘troisième âge’ n’en constitue pas moins une force vive de notre société puisqu’en Belgique, un volontaire sur trois est âgé de plus de 60 ans… 3 Le volontariat des seniors : le secret d’une vie plus longue, RTBF, juillet 2024. Disponible sur rtbf.be/article
Des discriminations liées à l’âge, mais pas uniquement
Le terme d’âgisme désigne les discriminations basées sur l’âge, aussi bien en raison d’un âge jugé trop jeune, que trop vieux 4Discrimination fondée sur l’âge, UNIA. Disponible sur unia.be/fr/discrimination-%C3%A2ge . L’âgisme peut prendre différentes formes telles que l’infantilisation, des préjugés, l’exclusion, etc. D’autres facteurs, comme être une femme ou une personne racisée par exemple, peuvent renforcer ces préjugés liés à l’âge. Les personnes qui cumulent plusieurs discriminations connaissent ainsi des difficultés supplémentaires. C’est le concept d’intersectionnalité : « les différentes formes de discrimination ne sont pas des phénomènes isolés, mais se combinent et se renforcent lorsqu’elles concernent une même personne 5 L’intersectionnalité, c’est quoi ?, Amnesty International, Disponible sur amnesty.fr ».
Parmi les facteurs qui renforcent les discriminations liées à l’âge se trouve le statut socio-économique 6 Le statut socio-économique est un indicateur de la position d’une personne dans la société, lié à son niveau d’éducation, ses revenus, etc. . C’est à ce facteur qu’a décidé de s’intéresser une équipe de chercheurs et chercheuses de l’Université Catholique de Louvain (Saint-Louis Bruxelles), de l’Université de Liège et de l’Université de Strasbourg.
« Nous étudions les liens entre la richesse et la dépendance durant le vieillissement », explique Laure Heymans 7 Rencontre à l’Université Catholique de Louvain, Saint-Louis Bruxelles, le 17 avril 2025., doctorante sur le projet. « Il existe de nombreuses études sur les liens entre la richesse et la mortalité, mais peu qui étudient le lien entre la situation de dépendance due à la vieillesse et la richesse ». L’hypothèse est de dire que lorsqu’une personne vieillit, elle a davantage besoin d’aide dans son quotidien si elle est pauvre que si elle est riche. « Ce qu’on essaye de faire ici c’est de montrer que ces deux facteurs ne sont pas juste corrélés, c’est-à-dire qu’ils sont liés, mais surtout qu’il y a un lien de causalité entre les deux, c’est-à-dire que l’un (le statut socio-économique) peut causer l’autre (la dépendance) ».
Autrement dit, que le fait d’être pauvre entraine une plus grande perte d’autonomie en vieillissant.
Les chercheurs·euses ont utilisé plusieurs importantes bases de données reprenant des informations sur les populations européennes et nord-américaines de 50 ans et plus. Ces bases de données reprennent des informations liées notamment aux caractéristiques socio-économiques et à la santé des individus, ainsi que d’autres informations comme les aides informelles reçues, les attentes des répondants, les transferts financiers,… C’est ce qui leur a permis d’établir le lien de causalité entre les deux facteurs.
« Dans notre étude, nous avons défini la dépendance sur base de l’aptitude à réaliser six activités différentes : est-ce qu’une personne sait s’habiller seule, traverser une pièce, aller à la toilette, se laver, manger et sortir du lit. Si la personne a besoin d’aide pour minimum deux des six activités, on la considère dans notre étude comme ‘dépendante’. En mettant en relation ces données de dépendance et celles sur le statut socio-économique tout en contrôlant pour toute une série de facteurs (la présence d’enfants, le fait d’être en couple, d’avoir des maladies chroniques, etc.), on a pu constater que plus on est pauvre, plus le nombre d’activités qu’on ne sait pas réaliser seul en vieillissant est grand. »
« Au-delà du constat moral de dire qu’il faut aider les gens qui sont dépendants et leur offrir des services accessibles, il y a aussi un constat économique : la population est en train de vieillir et la société doit s’y préparer ».
La nécessité d’adapter la société
La population vieillit et le marché du travail change. D’une part, nous sommes plus nombreux·ses à être actifs·ves sur le marché du travail. Alors qu’au milieu des années 90, en Belgique, seules 50% des femmes travaillaient 8 Entendons par là qu’elles sont pourvues d’un emploi rémunéré et que leur travail est économiquement valorisé. Les 50 autre pourcent étaient plus que probablement chargée d’un travail domestique, invisibilisé et non-rémunéré. , ce chiffre est passé à 68% en 2021 (contre 75% pour les hommes 9 Evolution des femmes sur le marché du travail, Statbel, avril 2024, statbel.fgov.be Précisons que ces chiffres prennent en compte le travail à temps partiel et les temps plein sans distinction. ). Les femmes continuent de représenter une part importante de l’aide informelle apportée aux personnes âgées dépendantes. Le fait qu’elles soient plus nombreuses à avoir un travail rémunéré leur laisse de facto moins de temps pour s’occuper de leurs proches. D’autre part, l’âge de la retraite continue de reculer, faisant travailler de plus en plus tard celles et ceux qui pourraient avoir besoin d’aider leurs parents plus régulièrement 10 FLAWINNE, X. et PERELMAN, S., L’aide informelle : quelles conséquences pour l’emploi de l’aidant ? dans La vie après 50 ans, 2021. Disponible sur e-publish.uliege.be . Enfin, la baisse de la natalité signifie qu’il y aura de moins en moins d’enfants pour jouer le rôle d’aidant informel.
« Ces changements dans le marché du travail, le fait que les femmes y soient davantage présentes, ça a un impact sur l’offre d’aide informelle. L’Etat va devoir s’adapter car il va falloir proposer une aide à ces personnes vieillissantes. Ca va sans doute peser sur la sécurité sociale mais aussi sur l’organisation de la société de manière plus globale. Il faut que l’Etat anticipe et mette en place des services efficaces, pour éviter que dans quelques années on se retrouve avec des maisons de repos saturées. Cela doit aussi passer par une revalorisation des métiers du soin ».
On parle d’aide informelle pour qualifier l’aide qui :
- est apportée par un·e proche
- est le plus souvent gratuite
- et sans que la personne aidante n’ait de qualification pour
Plus de 12% des Belges de plus de 15 ans apporte une aide régulière à un·e proche et ce chiffre sera probablement amené à augmenter dans les années à venir.Depuis 2014, la Belgique s’est dotée d’un statut officiel reconnaissant les aidants proches et leur donnant droit, sous certaines conditions, à certains congés, aides financières ou aides administratives.11 BRAEKMAN, E., CHARAFEDDINE, R. et DRIESKENS, S., Aide informelle. Enquête de santé 2018, 2019. Disponible sur sciensano.be et Aidants-proches : mieux les connaître pour mieux les soutenir, ULB, février 2025. Disponible sur actus.ulb.be/fr/actus/recherche
L’Arizona tente de s’adapter mais risque de creuser les inégalités
Différentes mesures politiques sont donc à prendre pour assurer à chacun et chacune une vieillesse aussi paisible et plaisante que possible. Pourtant, les mesures annoncées et/ou prises par le gouvernement Arizona ne semblent pas aller dans ce sens-là, ou du moins, pas pour tout le monde. Avec le nouveau régime de pensions, les personnes ayant travaillé à temps partiel sont pénalisées. Or, en 2023, plus de 40% des femmes salariées travaillent à temps partiel. Ce n’est pourtant pas souvent un choix mais plutôt un besoin, pour remédier au manque de services publics proposés par l’Etat. En effet, la Ligue des Familles estime par exemple que les places disponibles en crèche ne couvrent que 37% des besoins en places. Dès lors, les femmes « qui comblent les trous laissés (ou créés) dans les services fournis par l’État, ne peuvent, en conséquence, atteindre ce qu’exige l’accord sur les pensions 12 Carta Academica – Gouvernement Arizona : anti-social et anti-femmes ?, mars 2025. Disponible sur lesoir.be/661814/article/2025-03-15/carta-academica-gouvernement-arizona-anti-social-et-anti-femmes ». Actuellement, les femmes touchent en moyenne une pension 26% plus petite que celle des hommes, et cela risque donc de se renforcer. Et avec cette pauvreté vient donc une plus grande dépendance aux soins.
De plus, la fin de l’allocation de survie, qui apportait un soutien financier aux veufs et veuves, risque de plonger de nombreuses personnes dans la pauvreté. Cette mesure impactera principalement les femmes, puisqu’aujourd’hui, elles représentent 91% des bénéficiaires de cette allocation 13 Pension de survie en 2026 : un accès restreint, quel impact pour les veuves/veufs ?, La Ligue des Familles, avril 2025. Disponible sur liguedesfamilles.be/article/pension-de-survie-en-2026 .
D’autres solutions à envisager
Adapter la société à son vieillissement passe par l’adoption d’une série de mesures. Celles-ci doivent porter une attention particulière à ne pas renforcer la dépendance des personnes plus pauvres et à ne pas creuser les inégalités de genre.
- Améliorer l’accès aux soins et renforcer la sécurité sociale 14 SCHOENMAECKERS, J., Vivre plus longtemps mais moins bien ? Les inégalités qui pèsent sur le grand âge, The Conversation, avril 2025. Disponible sur theconversation.com . On ne devrait pas, quel que soit l’âge, avoir à se poser la question de l’argent lorsqu’il s’agit de notre santé.
- Soutenir les aidant·es informel·les, par des politiques qui leur sont favorables et qui leur permettent d’apporter le soutien nécessaire à leurs proches.
- Revaloriser les métiers du soin. Si durant la période du Covid, il semblait y avoir une prise de conscience collective de l’importance des métiers du soin, irremplaçables et nécessaires, le temps où l’on applaudissait les soignant·es depuis nos balcons est déjà bien révolu.
- Une idée complémentaire serait d’aménager les fins de carrières pour les métiers pénibles. En effet, ces métiers sont plus à même de générer des problèmes de dépendance durant le vieillissement. Reconnaitre la pénibilité du travail et permettre une fin de carrière aménagée pourrait ainsi permettre de réduire partiellement certaines inégalités liées à la vieillesse.
- Enfin, des structures proposent d’autres solutions pour tenter de répondre aux à certains défis liés à la vieillesse. C’est le cas notamment des colocations intergénérationnelles, comme l’association 1 Toit 2 Âges 15 Voir 1toit2ages.be , qui propose à des seniors d’accueillir chez eux un·e jeune en échange d’un loyer abordable et de quelques services à rendre.
- 1Statistic Explained: structure et vieillissement de la population, Eurostat, février 2025. Disponible sur ec.europa.eu/eurostat
- 2Tables de mortalité et espérance de vie, Statbel, juillet 2024. Disponible sur statbel.fgov.be
- 3Le volontariat des seniors : le secret d’une vie plus longue, RTBF, juillet 2024. Disponible sur rtbf.be/article
- 4Discrimination fondée sur l’âge, UNIA. Disponible sur unia.be/fr/discrimination-%C3%A2ge
- 5L’intersectionnalité, c’est quoi ?, Amnesty International, Disponible sur amnesty.fr
- 6Le statut socio-économique est un indicateur de la position d’une personne dans la société, lié à son niveau d’éducation, ses revenus, etc.
- 7Rencontre à l’Université Catholique de Louvain, Saint-Louis Bruxelles, le 17 avril 2025.
- 8Entendons par là qu’elles sont pourvues d’un emploi rémunéré et que leur travail est économiquement valorisé. Les 50 autre pourcent étaient plus que probablement chargée d’un travail domestique, invisibilisé et non-rémunéré.
- 9Evolution des femmes sur le marché du travail, Statbel, avril 2024, statbel.fgov.be Précisons que ces chiffres prennent en compte le travail à temps partiel et les temps plein sans distinction.
- 10FLAWINNE, X. et PERELMAN, S., L’aide informelle : quelles conséquences pour l’emploi de l’aidant ? dans La vie après 50 ans, 2021. Disponible sur e-publish.uliege.be
- 11BRAEKMAN, E., CHARAFEDDINE, R. et DRIESKENS, S., Aide informelle. Enquête de santé 2018, 2019. Disponible sur sciensano.be et Aidants-proches : mieux les connaître pour mieux les soutenir, ULB, février 2025. Disponible sur actus.ulb.be/fr/actus/recherche
- 12Carta Academica – Gouvernement Arizona : anti-social et anti-femmes ?, mars 2025. Disponible sur lesoir.be/661814/article/2025-03-15/carta-academica-gouvernement-arizona-anti-social-et-anti-femmes
- 13Pension de survie en 2026 : un accès restreint, quel impact pour les veuves/veufs ?, La Ligue des Familles, avril 2025. Disponible sur liguedesfamilles.be/article/pension-de-survie-en-2026
- 14SCHOENMAECKERS, J., Vivre plus longtemps mais moins bien ? Les inégalités qui pèsent sur le grand âge, The Conversation, avril 2025. Disponible sur theconversation.com
- 15Voir 1toit2ages.be


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