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photo par Brad Neathery
Analyse

Étudiant·e et précaire. La galère n’attend pas le nombre des années

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L’éducation (au sens large) fait l’unanimité en tant qu’outil d’émancipation sociale et rempart contre la reproduction générationnelle de la pauvreté. Elle est aussi pointée comme un enjeu démocratique essentiel face au populisme simplificateur et aux manipulations de l’opinion, surtout à l’heure des réseaux sociaux virtuels. La démocratisation sociale et économique de l’accès aux études supérieures est l’un des facteurs qui favorisent cette émancipation sociale et l’émergence d’une génération apte à affronter les multiples défis de ce siècle. Pourtant, l’inégalité des étudiant·es face à leur parcours académique est bien réelle et a été rendue visible au moment de la pandémie de Covid-19. La précarité étudiante est un symptôme de plus (à l’instar de la pauvreté des enfants) des profondes inégalités sociales qui caractérisent notre pays.

S’il y a des étudiant pauvres, c’est qu’il y a des familles pauvres ou « à la limite », qui ne peuvent pas assumer le coût des études de leur(s) enfant(s) et ce, malgré les aides sociales qui existent, tant du côté des CPAS que des services sociaux des campus. Limiter le non-recours aux aides par manque d’information, en simplifier l’accès, réguler le marché locatif des logements étudiants sont quelques-unes des pistes à creuser pour que tous les étudiants puissent aller au bout de leur parcours académique dans les meilleures conditions possibles. Pour éviter, également, que le coût des études plonge des familles dans la pauvreté1Cette analyse se concentre sur l’enseignement supérieur. La précarité existe bien entendu également dans d’autres filières, comme la formation en alternance. Là aussi, les frais peuvent être élevés, en fonction de la filière choisie : équipements de sécurité, matériel de laboratoire, etc..

Les confinements ont mis en lumière le fait que des dizaines de milliers d’étudiant·es ne peuvent pas compter exclusivement sur leur famille pour assumer les frais de leurs études. Recours massifs au CPAS, organisation d’aide alimentaire sur les campus… la précarité étudiante a tout à coup été mise en lumière et elle s’est aggravée au fil des mois de confinement. En 2021, une étude de l’Université de Liège montrait que 10% des étudiants n’arrivaient pas à subvenir à leurs besoins essentiels2https://www.uliege.be/cms/c_13575927/fr/l-impact-de-la-crise-sur-les-etudiant-es-des-donnees-pour-avancer lien raccourci : https://miniurl.be/r-67cq. La même année, 90 000 étudiants avaient perdu leur job en raison du confinement3https://www.rtbf.be/article/coronavirus-en-belgique-le-coronavirus-a-detruit-lejob-de-90-000-etudiants-10651388 lien raccourci : https://miniurl.be/r-67cx. Durant la première année de la pandémie, les services sociaux des universités ont vu exploser le nombre de leurs bénéficiaires, comme à l’ULiège où les demandes d’aides ont grimpé de 50%, passant de 600 à 9004https://www.rtbf.be/article/uliege-a-cause-de-la-pandemie-50-d-etudiants-en-plus-font-appel-a-l-aide-sociale-10701268 lien raccourci : https://miniurl.be/r-67cz.

Précarité étudiante ?

Selon Inforjeunes, « la précarité estudiantine désigne une situation dans laquelle un jeune, en insécurité financière à cause des coûts liés directement ou indirectement à ses études, n’a plus les moyens de jouir pleinement de ses droits fondamentaux (droit à l’alimentation, droit à la santé, droit à une vie sociale et culturelle, droit à l’accès numérique…). »

L’organisme caractérise cette situation comme « provisoire et pouvant mener à une amélioration des conditions de vie de l’étudiant ou à l’aggravation de la situation. Malgré l’intervention d’aide sociale, certains étudiants peuvent être obligés de faire l’impasse sur un ou plusieurs éléments constitutifs de la vie d’étudiant : un repas, un soin de santé, une activité… Travailler dans de telles conditions peut être difficile pour ces étudiants et réduit leurs chances de réussite par rapport aux étudiants qui n’y sont pas soumis. »5Voir https://inforjeunes.be/precarite-etudiante-en-belgique/

Au-delà et en amont des conséquences du Covid-19, certains chiffres donnent une idée de l’évolution de la précarité étudiante : entre 2010-2011 et 2021-2022, la proportion de jeunes de 18-24 ans aux études bénéficiant d’un PIISE (Projet individualisé d’intégration sociale étudiant) est passée de 4,5% à 9%, soit un doublement en dix ans. Et la proportion de jeunes bénéficiant d’un PIISE est presque deux fois plus importante à Bruxelles qu’en Wallonie, peut-être en raison du nombre de sites universitaires et d’écoles supérieures dans la capitale ?6Voir https://inesthinktank.be/deux-indicateurs-associes-a-la-precarite-des-jeunes-aux-etudes/.

Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène :

  • Le nombre de jeunes de 18-24 ans qui sont aux études a augmenté au total d’environ 15% entre 2010-2011 et 2024-57Idem.. Cela s’explique notamment par la démocratisation de l’accès aux études supérieures : de plus en plus de jeunes issus de milieux socialement défavorisés y accèdent, notamment grâce au PIISE mis en place par les CPAS.

  • Depuis le décret « Paysage », fondé sur le principe de « crédits » reportables d’année en année, la durée moyenne des études augmente, ce qui est difficile à assumer financièrement pour un certain nombre de familles.

  • Depuis 2016, les revenus pris en compte pour l’accès à une bourse d’études comprennent tous les revenus du ménage, y compris ceux des personnes qui n’ont pas la charge du jeune (un grand-parent, un frère ou une sœur par exemple). C’est non seulement inique, mais aussi en contradiction avec le Code civil qui stipule que ce sont les parents qui sont censés pourvoir à l’éducation de leurs enfants (art. 203)8Voir https://liguedesfamilles.be/article/allocations-detudes-mieux-prendre-en-compte-toutes-les-situations-familiales)

  • Le nombre de familles monoparentales est en augmentation continue – avec une large majorité de femmes à leur tête. Et quatre parents sur dix qui se trouvent dans cette situation assument seuls la responsabilité de leurs enfants.9ERNENS, Catherine, Explosion des familles monoparentales : vers une nouvelle norme familiale sur www.moustique.be, le 21 mai 2024. Lien raccourci : https://miniurl.be/r-66o7 Autant dire que, pour un parent solo, même de la classe moyenne, assumer les frais détaillés ci-dessous pour un, voire deux ou trois enfants avec un seul salaire n’est pas possible. Au service social de l’UCLouvain, 50% des demandes concernent des familles monoparentales10Florence Vanderstichele, lors du colloque Les précarités étudiantes : enjeux, défis et perspectives organisé par INES (Inclusion, Égalité, Solidarité) à Bruxelles le 24 novembre 2024..
  • On constate également que les étudiant·es sont de plus en plus âgé·es : dans ce monde en bouleversement, trouver sa voie – une voie porteuse de sens – n’est pas aussi facile qu’il y a 20 ou 30 ans. Les parcours atypiques se multiplient, impliquant une entrée (ou un retour ou encore une réorientation) tardive dans les études. Or, à partir de 25 ans, on ne bénéficie plus d’avantages comme des tarifs réduits dans les transports et l’on est obligé de souscrire à sa propre mutuelle. Tout cela engendre des frais supplémentaires qui gonflent le coût global d’une année d’études.

Beaucoup de familles se trouvent ainsi dans une fourchette de revenus qui ne leur donne pas droit à une bourse mais ne leur permet pas d’assumer financièrement les études de leur(s) enfant(s). D’où la nécessité, pour de nombreux et nombreuses étudiant·es, de compléter l’apport du ou des parents par un job étudiant, sous peine soit de renoncer à leurs études, soit de plonger la famille dans la précarité, voire l’endettement. Le travail étudiant, lorsqu’il est indispensable à la survie, constitue un obstacle de plus à la réussite et accentue donc les inégalités sociales de départ.

Combien coûte une année d’études11Source de ces données : Combien coûte une année dans l’enseignement supérieur ? Charlotte Hutin, Le Soir, 11/09/2023. Lien raccourci : https://miniurl.be/r-66nq ?

  • À l’université, les frais d’inscription s’élèvent à 835€ pour les étudiant·es belges ou issus de l’UE. Ils sont réduits lorsque les revenus de l’étudiant·e ne dépassent pas un certain seuil. Pour les étudiant·es hors-UE, cette somme s’élève à 2505€. L’inscription est cependant gratuite pour les boursiers.
  • Dans les hautes écoles, ces frais s’élèvent à 175€ pour le bachelier (et 227€ pour l’année diplômante) et à entre 239€ et 343€ pour les masters.
  • Des frais supplémentaires liés aux études peuvent être demandés12Voir http://www.enseignement.be/index.php?page=4302#belge. Ces frais dépendent des études choisies et peuvent aller de quelques centaines d’euros (achat d’un ordinateur, de livres, de matériel de laboratoire, impression de syllabus) à plusieurs milliers (équipement spécifique aux études, voyage, programme Erasmus, stage…).
  • Pour le logement, le coût varie selon qu’il s’agit d’un kot de l’université, à prix contrôlé, ou d’un kot privé pour lequel les prix sont en constante augmentation, a fortiori quand l’offre est insuffisante au regard de la demande. Il faut compter entre 3000 et 6000 euros par an.
  • Le coût du transport est très variable également : entre un abonnement TEC ou STIB à 12€ par an et un autre, à la SNCB, à plus de 1000 euros pour les plus de 25 ans qui n’ont plus droit à des tarifs réduits, on voit que ce poste de frais est source d’inégalités et de précarité pour les étudiants plus âgés.
  • La nourriture : entre manger en famille à la maison et manger dans son kot ou sur le campus, la différence est nette.Les services sociaux des universités évaluent à entre 400 et 500€ de frais de nourriture supplémentaires annuels lorsque l’étudiant·e est en kot par rapport à celui ou celle qui prend ses repas en famille.
  • La vie étudiante : un resto, une pause en terrasse ou quelques verres en soirée, un cinéma… à moins de vivre une vie quasi monacale, s’intégrer parmi ses congénères implique des frais supplémentaires. De quelques dizaines à plus de 100 euros par mois, chacun·e fait selon ses moyens. Mais un budget serré rime inévitablement avec une forme d’auto-exclusion de la vie étudiante, d’autant plus si une grande partie du temps libre doit être consacrée à travailler pour financer les études.

Être un·e étudiant·e en situation de précarité, c’est…

Peiner à trouver un kot compatible avec son budget, voire y renoncer et effectuer les trajets domicile-campus – parfois longs – en transports en commun, ce qui augmente la fatigue et réduit le temps disponible pour l’étude et les possibilités de s’intégrer dans la communauté étudiante.

À Namur, par exemple, les kots son trop peu nombreux, souvent chers et parfois de mauvaise qualité. Si l’on ajoute à cela le manque d’appui familial pour certain·es étudiant·es et le non-recours à des aides par manque d’information, se loger pour étudier dans de bonnes conditions devient un vrai casse-tête.

Le nombre d’étudiant·es augmente chaque année (+2% en 2023) et le nombre de logements étudiants disponibles ne suit pas cette évolution d’assez près. Cela provoque une augmentation des loyers : avec les charges, ceux-ci atteignent en moyenne 565 euros13De plus en plus d’étudiants et une offre de logements qui évolue trop lentement : les loyers des kots sont en augmentation , RTBF (5 mai 2024). Lien raccourci : https://miniurl.be/r-66cn . La course aux kots commence de plus en plus tôt et les moins chanceux ou les moins fortunés doivent se contenter de logement de piètre qualité (au niveau de l’isolation sonore et thermique, la salubrité, la situation géographique, la proximité des transports en commun). Ou renoncer à « kotter » et faire la navette.

Être obligé·e d’exercer un job étudiant14Voir à ce sujet l’analyse d’Action Vivre Ensemble, Jobs étudiants : qui gagne, qui perd ? disponible sur https://vivre-ensemble.be/publication/analyse2025-1/ pour subvenir à ses besoins de base (loyer, nourriture, transports) plutôt que pour s’offrir des sorties ou des vacances. La charge mentale combinée des études et du travail est lourde à porter pour les jeunes qui doivent subvenir entièrement à leurs besoins. Sans compter que certaines filières rendent le travail étudiant très compliqué, notamment en raison des stages, pour les futures aides-soignantes par exemple. On constate qu’à partir d’un tiers-temps, le travail étudiant met en péril la réussite du cursus.

« Je ne trouve pas ça normal de devoir faire un job étudiant : si tu me compares avec quelqu’un qui a les mêmes capacités que moi mais qui vit chez ses parents et qui n’a pas besoin de faire un job étudiant, il y en a un des deux qui a beaucoup plus de temps que l’autre pour étudier, pour se reposer… en fait, c’est beaucoup de temps perdu, d’énergie perdue à juste survivre » (Odile)15https://lpost.be/2022/04/07/une-journee-dans-la-vie-dodile-etudiante-en-situation-de-precarite/

Les étudiant·es issu·es de familles aisées bénéficient souvent de leur réseau social et de celui de leurs parents pour accéder à un travail étudiant valorisable pour l’avenir, au contraire des étudiant·es issues de familles moins favorisées.

Ne pas pouvoir participer à la vie étudiante comme les autres : manger ensemble à midi, sortir le soir pour boire un verre ou aller au cinéma, participer éventuellement à un voyage entre étudiants sont des façons de s’intégrer, de se créer un réseau amical, de rencontrer des jeunes de tous horizons. Pour ceux et celles qui n’ont pas les moyens de s’offrir ces activités, l’isolement guette et le sentiment d’exclusion affecte la santé mentale et la confiance en soi.

Devoir effectuer des démarches administratives parfois complexes pour accéder aux aides prévues pour les étudiant·es en précarité, les ressentir peut-être comme humiliantes, voire y renoncer par dépit ou par manque d’information. Ces démarches constituent également une charge mentale importante et sont source de stress supplémentaire en début d’année académique, particulièrement en première année, moment où l’étudiant·e doit s’adapter à l’entrée dans les études supérieures : un nouveau monde, de nouveaux horaires, de nouvelles responsabilités…

Services sociaux : aux côtés des étudiant·es

Sur les sites des hautes écoles et des universités, les services sociaux accompagnent notamment les étudiant·es qui peinent à joindre les deux bouts au cours de leurs études ou qui ne s’en sortent pas dans les démarches administratives. Leur mission concerne également l’inclusion et mobilise aussi des intervenants en psychologie.

À l’ULB, comme dans les autres établissements d’enseignement supérieur, le service social intervient soit lorsque d’autres dispositifs ne sont pas accessibles (quand les revenus des parents se situent juste au-dessus du maximum qui donne droit à une bourse, par exemple) ou en complément de ceux-ci.

L’étudiant·e rencontre un·e intervenant·e social·e pour évaluer sa situation. Selon les cas, l’aide peut concerner le minerval, l’achat de matériel (comme un ordinateur portable, devenu aujourd’hui indispensable), la mobilité quotidienne et celle liée aux études (Erasmus, stages), la précarité menstruelle, les difficultés liées à la suspension d’un job étudiant pendant le blocus et les examens, le bien-être physique et psychologique (accès à des activités sportives et culturelles). À l’ULB, le logement est une priorité sociale et 1000 chambres sont à disposition des étudiant·es, dont une partie du loyer est prise en charge par l’université. Une crèche est également prévue pour les étudiants parents, ainsi que des aides spécifiques pour les étudiantes enceintes, les jeunes parents et les aidant·es proches.

En ce qui concerne la nourriture, l’ULB propose, dans ses restaurants universitaires, des plats à 2€. Les étudiant·es bénéficiaires d’une réduction de minerval y ont accès automatiquement. Tou·tes les autres étudiant·es qui en ont besoin peuvent activer ce droit de leur propre initiative, par un simple clic sur leur compte en ligne « MonULB »16Voir http://ulb.be/fr/aides-financieres-et-sociales/plats-a-2-euros.

Échos et défis du ‘terrain’

L’expérience du personnel des services sociaux aide à mieux comprendre la précarité étudiante17Les informations de cette section proviennent des interventions des personnes citées lors du colloque  Les précarités étudiantes : enjeux, défis et perspectives organisé par INES (Inclusion, Égalité, Solidarité) à Bruxelles le 24 novembre 2024.. Selon Aurélie Durvaux, du service social d’Henallux18Haute-École de Namur, Liège et Luxembourg., les étudiant·es qui s’adressent à la permanence proviennent de divers milieux, autant ruraux qu’urbains et les filles sont majoritaires. Le pourcentage d’étudiant·es qui dépendent d’aides financières directes s’élève à 9,6% et est en augmentation. Parmi eux, 60% sont navetteurs, ce qui implique une fatigue et des frais supplémentaires, même si les abonnements de trains pour étudiants sont particulièrement bon marché. Florence Vanderstichele, du service social de l’UCLouvain, relève quant à elle que la contribution financière des familles est en baisse, singulièrement dans le cas des famille monoparentales.

Elle souligne la question du non-recours aux droits, conséquence de la complexité administrative. Avant de s’engager dans le dédale administratif qui mène – peut-être, s’il s’avère qu’on est dans les conditions – à une aide, les étudiant·es et leur famille tentent de s’en sortir par elles-mêmes, en renonçant s’il le faut à des soins de santé ou une nourriture suffisante.

Une autre difficulté réside dans la gestion du budget : gérer pour la première fois seul·e ses deniers « en personne responsable » – surtout s’ils sont rares – n’est pas inné et peut demander un accompagnement spécifique. Certain·es étudiant·es envoient par ailleurs de l’argent à leur famille, qu’elle soit dans leur pays d’origine pour les étrangers ou en Belgique, lorsqu’elle dépend du CPAS.

Étudiants étrangers : « sur fonds propres »

Les étudiant·es venus des pays extérieurs à l’Union européenne connaissent des difficultés spécifiques : si le permis de séjour tarde à leur être octroyé, ils ne peuvent tout simplement pas travailler et doivent vivre sur fonds propres. Par ailleurs, entamer des études sur un autre continent demande une adaptation culturelle énorme, tant aux études elles-mêmes qu’à la culture locale, en particulier pour les étudiant·es venu·es d’Afrique sub-saharienne. Les services sociaux se trouvent ainsi face à des étudiant·es qui décompensent, en grande difficulté psychologique. De plus, s’ils/elles n’ont pas (encore) accès à la mutuelle, ils/elles doivent reporter leurs soins de santé, ce qui a bien entendu un impact sur leur capacité à suivre les cours et à étudier dans de bonnes conditions.

Le service social de l’Henallux relève aussi des écueils au niveau de la réalité familiale : demander l’aide du CPAS, sachant que celui-ci va mener une enquête auprès de la famille pour vérifier sa solvabilité, ce n’est pas facile. Certains jeunes vivent dans leur famille des conflits qui ont des conséquences néfastes sur leur santé mentale et leur assiduité aux cours. Certain·es vont jusqu’à abandonner leurs études pour trouver un emploi qui leur permettra d’être plus vite autonomes et de quitter leur famille.

Être un·e étudiant·e en situation de précarité, c’est aussi être amené·e à choisir des études que l’on est sûr·e de réussir plutôt que celles qui nous attirent parce qu’on ne peut pas se permettre de rater une année ; à choisir des études plus courtes, un bachelier en haute école plutôt qu’un master par exemple, parce que le minerval est moins cher et qu’il faut pouvoir gagner sa vie au plus tôt.

Vers des études accessibles à tous et toutes ?

Claire Sourdin, du service social de l’ULB, pointe quelques défis à relever et obstacles à surmonter :

  • Mieux aider les étudiants provenant de pays extérieurs à l’Union européenne. Outre les services sociaux, notons qu’il existe des associations, comme le Placet à Louvain-la-Neuve, ou encore, également sur le site néolouvaniste, la Coordination générale des étudiants internationaux (CGEI) qui œuvrent à faciliter l’intégration des étudiants et à les accompagner dans leurs démarches administratives, entre autres.
  • Diminuer le taux de non-recours aux droits, qui atteint 50%, par une meilleure communication et par l’automatisation ou l’autodétermination de certaines aides (comme les repas à 2€ à l’ULB).
  • Comment être (plus) justes, (plus) simples et (plus) accessibles ?
  • Comment trouver l’équilibre entre l’octroi d’aides matérielles et l’accompagnement vers l’autonomie ? Par exemple, vaut-il mieux organiser une épicerie sociale ou des colis alimentaires ou accorder un budget ‘alimentation’ que l’étudiant·e gérera lui/elle-même ? Peut-être que cela demande une plus grande individualisation de l’accompagnement et des aides proposées.

Relever ces défis nécessite évidemment les moyens humains et financiers adéquats. De ce côté, l’heure n’est pas à l’optimisme, vu le défi budgétaire et les orientations des partis au pouvoir actuellement.

Car pour contrer la précarité étudiante, il ne suffit pas, comme l’a décidé notre gouvernement, d’augmenter le nombre d’heures de travail autorisées pour les jobistes. On l’a vu, si le travail étudiant a des avantages, il n’est pas la panacée et peut même mettre en péril la réussite des études.

La précarité d’un nombre croissant de jeunes aux études supérieures n’est pas seulement due à un accès élargi aux études ; elle est aussi le symptôme de l’appauvrissement d’une partie de la classe moyenne. Action Vivre Ensemble, avec le Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, n’a de cesse de le rappeler : s’il y a des enfants et des étudiant·es pauvres, c’est parce qu’il y a des parents qui n’ont pas les revenus suffisants pour faire vivre dignement leur famille et permettre à leurs enfants de se construire un avenir meilleur. À ce titre, la décision de la coalition Arizona de limiter à deux ans les allocations de chômage ne va rien arranger.

On l’a vu : les CPAS jouent un rôle important pour financer les études des jeunes issus de familles précarisées, mais aussi en rupture familiale ou sortant d’institutions d’aide à la jeunesse. Au-delà des finances, l’accompagnement social qu’ils assurent n’est pas à négliger. On peut se demander si l’afflux de personnes exclues du chômage suite à la décision gouvernementale permettra de pérenniser et d’augmenter la capacité des CPAS à accompagner les jeunes dans leur parcours de formation et dans leur émancipation sociale.

De plus, les critères d’accès au chômage et à l’aide sociale du CPAS ne sont pas identiques : une partie des personnes qui perdront leur allocation de chômage n’auront pas droit à l’aide du CPAS. Si ces personnes ont des enfants aux études supérieures, cela va encore accroître la précarité des étudiant·es.

La possibilité pour chaque jeune de mener à bien, s’il/elle le souhaite, des études supérieures est une condition à l’émancipation sociale et à l’accès à un emploi choisi et de qualité. En plus des efforts personnels fournis par les étudiant·es et leur famille, notre société à le devoir de mettre en place les conditions de la réussite du parcours académique : les bourses d’études et l’accompagnement des CPAS et services sociaux dûment financés, bien sûr, mais aussi des revenus suffisants pour toutes les familles et des services publics efficaces et financièrement accessibles à tous et toutes. Il faut bien constater que ce n’est pas l’orientation actuelle choisie par nos élu·es.

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    Cette analyse se concentre sur l’enseignement supérieur. La précarité existe bien entendu également dans d’autres filières, comme la formation en alternance. Là aussi, les frais peuvent être élevés, en fonction de la filière choisie : équipements de sécurité, matériel de laboratoire, etc.
  • 2
    https://www.uliege.be/cms/c_13575927/fr/l-impact-de-la-crise-sur-les-etudiant-es-des-donnees-pour-avancer lien raccourci : https://miniurl.be/r-67cq
  • 3
    https://www.rtbf.be/article/coronavirus-en-belgique-le-coronavirus-a-detruit-lejob-de-90-000-etudiants-10651388 lien raccourci : https://miniurl.be/r-67cx
  • 4
    https://www.rtbf.be/article/uliege-a-cause-de-la-pandemie-50-d-etudiants-en-plus-font-appel-a-l-aide-sociale-10701268 lien raccourci : https://miniurl.be/r-67cz
  • 5
    Voir https://inforjeunes.be/precarite-etudiante-en-belgique/
  • 6
    Voir https://inesthinktank.be/deux-indicateurs-associes-a-la-precarite-des-jeunes-aux-etudes/
  • 7
    Idem.
  • 8
    Voir https://liguedesfamilles.be/article/allocations-detudes-mieux-prendre-en-compte-toutes-les-situations-familiales)
  • 9
    ERNENS, Catherine, Explosion des familles monoparentales : vers une nouvelle norme familiale sur www.moustique.be, le 21 mai 2024. Lien raccourci : https://miniurl.be/r-66o7
  • 10
    Florence Vanderstichele, lors du colloque Les précarités étudiantes : enjeux, défis et perspectives organisé par INES (Inclusion, Égalité, Solidarité) à Bruxelles le 24 novembre 2024.
  • 11
    Source de ces données : Combien coûte une année dans l’enseignement supérieur ? Charlotte Hutin, Le Soir, 11/09/2023. Lien raccourci : https://miniurl.be/r-66nq
  • 12
    Voir http://www.enseignement.be/index.php?page=4302#belge
  • 13
    De plus en plus d’étudiants et une offre de logements qui évolue trop lentement : les loyers des kots sont en augmentation , RTBF (5 mai 2024). Lien raccourci : https://miniurl.be/r-66cn
  • 14
    Voir à ce sujet l’analyse d’Action Vivre Ensemble, Jobs étudiants : qui gagne, qui perd ? disponible sur https://vivre-ensemble.be/publication/analyse2025-1/
  • 15
    https://lpost.be/2022/04/07/une-journee-dans-la-vie-dodile-etudiante-en-situation-de-precarite/
  • 16
    Voir http://ulb.be/fr/aides-financieres-et-sociales/plats-a-2-euros
  • 17
    Les informations de cette section proviennent des interventions des personnes citées lors du colloque  Les précarités étudiantes : enjeux, défis et perspectives organisé par INES (Inclusion, Égalité, Solidarité) à Bruxelles le 24 novembre 2024.
  • 18
    Haute-École de Namur, Liège et Luxembourg.
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