La mobilité. L’angle mort de la précarité
Télécharger
Le manque de mobilité représente un véritable obstacle à l’exercice de nos droits les plus fondamentaux, tant se déplacer est essentiel dans nos sociétés. Les plus précarisés d’entre nous subissent à la fois inégalité géographique et inégalité environnementale. Comment penser une mobilité qui soit un outil à la fois de justice sociale et de durabilité environnementale ?
Vélos et voitures électriques et/ou partagées, pistes et autoroutes cyclables… Les initiatives en faveur d’une mobilité moins gourmande en ressources fossiles ne manquent pas ces dernières années dans le cadre de la transition énergétique. Mais ne sont-elles pas des phénomènes principalement urbains, qui concernent surtout une classe moyenne à capital culturel élevé ? Et, surtout, ne font-elles pas oublier les efforts nécessaires en matière de transports publics collectifs accessibles à toutes les bourses et à tous les publics ?
Mobilité et non-recours aux droits
La mobilité est un élément transversal dans les questions de lutte contre la pauvreté. On la retrouve effectivement partout puisqu’elle représente un « maillon indispensable dans l’exercice des droits fondamentaux »1Durabilité et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, Rapport bisannuel 2018-2019, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, p. 67. tels que le droit au logement, à la santé, à l’emploi ou encore à l’éducation. Comment se rendre chez le médecin si l’on habite dans un village reculé où il y a très peu de transports en commun ? Ou lorsqu’on a trouvé un travail mais que, faute de posséder une voiture ou de disposer de transports en commun adéquats, l’on doive y renoncer ?
Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP), lance un avertissement : la non-mobilité aggrave le non-recours aux droits2Propos recueillis lors de la table ronde de l’événement Le bus arrive ? Ou pas. Une conférence sur la précarité en matière de mobilité organisé par le Conseil fédéral du développement durable (CFDD) à Bruxelles le 19 mai 2025.. L’évolution de la société fait que « les besoins en mobilité des individus se multiplient et se complexifient. Les individus voient aujourd’hui leurs pôles d’intérêts et leurs lieux d’activités se multiplier et souvent se disséminer sur le territoire »3Durabilité et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, Rapport bisannuel 2018-2019, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, p. 67.. Le maillage actuel des réseaux TEC et SNCB est loin d’être optimal : trajets raccourcis, trains supprimés, coûts prohibitifs, etc. Ces divers obstacles ont des conséquences désastreuses pour les personnes en situation de précarité, notamment l’isolement social, comme beaucoup ne peuvent plus se déplacer. Ainsi, absents de l’espace public, ils sont invisibilisés et leurs besoins ne sont pas être pris en compte dans les politiques de mobilité. Pourtant, ils et elles sont bien là. Le manque d’accès à la mobilité complexifie donc grandement des situations de précarité, voire constitue même parfois l’élément déterminant qui fait basculer dans la pauvreté.
L’obstruction à ces divers droits vient notamment des choix politiques posés dans l’aménagement du territoire. Le logement se révèle souvent moins cher en zone rurale ou périurbaine ; or, c’est généralement là qu’il y a le moins de transports en commun et de services de proximité. Combien de villages ne sont pas desservis le week-end ? Il y aurait lieu à repenser sérieusement l’aménagement du territoire, notamment en revitalisant les villages. En Wallonie, la plupart sont devenus des villages-dortoirs où la voiture règne en maître, faute d’une offre suffisante de transports en commun. Dans ces villages, les commerces de proximité ont presque tous disparu, ceux-là même qui permettaient, en plus de fournir des denrées de base, de créer et d’entretenir du lien social. « En région rurale, beaucoup de personnes doivent prendre plusieurs [modes de] transports en commun différents lorsqu’ils vont travailler ou lorsqu’ils veulent visiter leurs enfants placés et cela prend un temps fou et une énergie folle. Ils n’ont souvent que leurs pieds pour se déplacer »4Durabilité et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, Rapport bisannuel 2018-2019, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, p. 70.. Cette raréfaction des transports en commun en zone rurale participe d’un cercle vicieux : « Le service se détériore en raison d’un manque de moyens, le nombre de clients diminue et par conséquent, les moyens sont supprimés »5Ibidem..
Mobilité et effet Matthieu
L’effet Matthieu6L’effet Matthieu tire son nom d’une citation de l’Évangile selon Saint Matthieu : « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a ». est un principe qui « traduit le fait qu’en vertu d’une série de mécanismes, les politiques sociales profitent davantage aux riches qu’aux pauvres qui, proportionnellement, y contribuent davantage »7L’effet Matthieu ou comment le système social profite davantage aux riches qu’aux pauvres, Courrier International 2023, disponible sur https://www.courrierinternational.com/une/la-une-du-jour-l-effet-matthieu-ou-comment-le-systeme-social-profite-davantage-aux-riches-qu-aux-pauvres. Plus concrètement, les riches deviennent plus riches et les pauvres plus pauvres. En matière de mobilité, l’effet Matthieu est particulièrement tenace sur deux des moyens de transport les plus connus : le vélo et la voiture.
Le vélo. Le développement d’un réseau cyclable est largement utilisé par les personnes issues de la classe moyenne supérieure qui a fait de la pratique cycliste un véritable marqueur social. On aurait tort de sous-estimer la dimension culturelle du vélo tant il est devenu le moyen de transport plébiscité par une majorité de gens aisés et engagés. Parallèlement, la voiture reste une preuve de réussite sociale fortement ancrée dans les milieux plus populaires (mais pas seulement…). Le vélo, s’il représente une solution durable et, à première vue, bon marché, n’est pas aussi accessible qu’il y paraît.
Tout d’abord, en zone rurale, la pratique cycliste peut se révéler dangereuse, surtout en Wallonie où le manque de pistes ou d’aménagements cyclables est régulièrement dénoncé. Cette tendance se confirme par les chiffres puisque le vélo ne représente qu’1,6% de la part modale des déplacements en Wallonie pour 17% à Bruxelles8Durabilité et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, Rapport bisannuel 2018-2019, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, p. 71.. Ensuite, en zone urbaine, où les aménagements cyclables sont bien plus nombreux, le vélo reste inaccessible à beaucoup pour des raisons financières. Parmi eux, les familles précarisées. En effet, le développement et la prolifération des vélos cargos électriques9C’est-à-dire avec une large assise à l’arrière pouvant permettre d’installer jusqu’à trois enfants. sont trop chers pour des ménages en situation de précarité. Pour un vélo de ce type, il faut compter entre trois et cinq mille euros, sans compter l’assurance et les entretiens. Une sacrée somme… Sans commune mesure avec le coût et l’entretien d’une voiture cela dit.
De plus en plus de villes proposent des incitants à la pratique du vélo. Pour exemple, la Ville de Liège a mis en place le système Vélocité10Voir https://www.liege.be/fr/vivre-a-liege/mobilite/velocite/location-de-velo qui permet la location d’un vélo (pour des périodes variant de 3 à 12 mois). Dans le cas d’un vélo musculaire, donc non électrique, l’abonnement annuel est de 80€ et comprend l’entretien et les réparations éventuelles. Lorsqu’on sait qu’un entretien coûte grosso modo une septantaine d’euros, l’offre est avantageuse et inclusive. Ce genre d’initiatives va dans le bon sens et est révélatrice de la volonté d’une politique cyclable inclusive.
Pour autant, la voiture reste le moyen privilégié pour se déplacer. Quasiment indétrônable, elle est pourtant la source de nombreuses nuisances (bruit, pollution, odeur, etc.). La piétonisation des villes, et ipso facto la diminution progressive de la voiture, représente donc un véritable enjeu écologique. Cependant, si elle correspond aux objectifs de développement durable, « les mesures interdisant ou limitant un mode de transport polluant ne peuvent être prises sans renforcer dans le même temps des solutions de transport accessibles à tous »11Op. cit., p. 69.. Car lorsque ce n’est pas le cas, cela a « un impact disproportionné sur les personnes en situation de pauvreté par rapport aux autres citoyens »12Durabilité et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, Rapport bisannuel 2018-2019, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, p. 69.. L’économiste Thomas Piketty le rappelle : « Toutes les transformations importantes, qu’elles soient politiques, institutionnelles ou sociales, depuis deux siècles, se sont faites avec une réduction des inégalités et une forme de marche vers l’égalité. Le changement climatique, grand défi du siècle, n’échappera pas à cette règle pour une raison simple : dès que vous faites des transformations majeures, vous avez des conséquences sur la répartition des efforts. Et la seule façon de pouvoir réaliser ces transformations, c’est de le faire d’une façon juste »13Thomas Piketty : « Pour réussir la transition climatique, il faut répartir autrement les richesses », Le Monde, en ligne le 1er septembre 2025., c’est-à-dire en ne laissant personne de côté.
Selon l’étude Mobwal14Voir https://www.iweps.be/projet/mobwal/, les ménages qui ne possèdent pas de voiture sont les plus vulnérables et les plus fragiles et représentent principalement des personnes isolées ou des familles monoparentales. L’achat d’une voiture est la boîte de Pandore en matière de frais : l’achat tout d’abord, suivi par l’assurance, le carburant, les frais de parking éventuels, les entretiens et réparations mais aussi, bien en amont, le financement d’un permis de conduire. Au 1er janvier 2025 en Wallonie, il faut compter 58€ pour passer les permis théorique et pratique. Cela n’inclut évidemment pas d’éventuelles leçons de conduite qui peuvent s’élever à plusieurs centaines d’euros. Or, les personnes vivant une situation de précarité sont souvent isolées et ne peuvent compter ni sur l’aide d’un proche ni sur une voiture pour l’apprentissage.
Le partage de voitures, type Cambio, contredit le modèle largement admis de la voiture individuelle : « Le ‘tout automobile’ consiste donc à accorder la priorité à la voiture sur tous les autres modes de déplacement en toutes circonstances. Les autres modes ont le droit d’exister et même de se développer, à condition toutefois de ne pas entraver ou très peu l’usage de l’automobile (…) ou de ne pas freiner son développement exponentiel »15Et si le problème de la mobilité, c’était les bagnoles, partout et tout le temps, Analyse n°14, ASBL Femmes en milieu rural, 2023, p.3.. Le système des voitures partagées permet de diminuer efficacement le nombre de voitures, en ville du moins. Cependant, cela ne concerne à nouveau que des personnes issues de la classe moyenne. Si un abonnement16De type moyen, qui permet de rouler entre 50 et 300 km par mois. ne coûte que 8 € par mois, il faut compter des frais d’activation de 35 € ainsi qu’une participation financière, qui joue notamment un rôle de caution, de 500 €17Cette participation financière peut être moindre (150€) mais elle ne concerne que l’abonnement Start dont la limitation mensuelle est de 50 km. (ces deux derniers frais ne sont payés qu’une fois). Ainsi, avant même d’avoir roulé un seul kilomètre, l’on doit déjà débourser 543 €… Somme difficile à dégager pour une personne ou un ménage en situation de précarité. De plus, les stations où retirer les voitures partagées sont situées en grande majorité en milieu urbain. Il faudrait investir les zones plus reculées, en périphérie, en banlieue et dans les quartiers populaires.
Dans un monde en pleine crise climatique et au sein de nos sociétés où la voiture règne en maître, le modèle des voitures partagées doit se développer, notamment via une politique engagée dans la durabilité qui encouragerait le citoyen à utiliser ce système sous la forme de prime… À l’image de ce que propose le TEC : en cas de radiation d’une plaque d’immatriculation, un abonnement gratuit de 3 ans vous est fourni ainsi que des prix réduits lors d’abonnement àCambio.
Parfaite illustration d’une transition juste, l’impression que ce genre de bonnes idées reste en marge des pratiques politiques persiste pourtant. En effet, selon l’Institut fédéral pour le Développement durable (IFDD), de plus en plus de Belges font face à des problèmes de mobilité liés à leur situation de précarité18« Près de 20 % des Belges vivent dans une situation de pauvreté liée à la mobilité et ne peuvent donc pas participer pleinement à la vie quotidienne » d’après le rapport Just Transition Scan 2024 cofinancé par l’IFDD (voir https://developpementdurable.be/actualites/les-personnes-vulnerables-sont-les-plus-durement-touchees-par-la-pauvrete-liee-la).. Ce constat mériterait un investissement et un développement plus conséquent de la part de nos pouvoirs publics. À titre d’exemple, la communication sur l’opportunité d’un abonnement TEC gratuit lors d’une radiation de plaque est presque inexistante…
L’exemple de Montpellier
Une des solutions pour améliorer la mobilité pour toutes et tous reste la gratuité complète des transports en commun. Beaucoup d’acteurs de terrain revendiquent cette solution mais se heurtent à des cris d’orfraie : « Impossible ! », « Trop cher ! » … Avec le recul actuel des services publics, imaginer une gratuité complète relève en effet de l’utopie.
Une utopie qui est pourtant devenue réalité à Montpellier, en France. En effet, depuis 2023, Montpellier19Montpellier n’est pas la seule ville de France à proposer la gratuité de ses transports en commun, 43 autres villes françaises le font d’après le dernier recensement (2024) de l’Observatoire des villes du transport gratuit (voir http://www.obs-transport-gratuit.fr/les-villes-du-transport-gratuit-163/gratuite-totale-184/). offre la gratuité complète des transports en commun aux habitants et habitantes de la ville. Voulant démontrer qu’un autre modèle est possible et faire de la métropole un exemple de transition juste, c’est-à-dire qui ne laisse personne de côté, le maire, Michaël Delafosse, s’est décidé à adopter la gratuité complète des transports en commun. Le slogan de la mairie, « L’égalité, la liberté, la solidarité, l’écologie, ça n’a pas de prix. Bus et tram gratuits », est explicite sur la nouvelle philosophie adoptée.
« La mise en place de la gratuité des transports en commun, c’est agir pour l’avenir de nos enfants et petits-enfants face aux défis du changement climatique, en rendant accessible à tous une mobilité qui n’émet pas de CO2. Faire ce choix de rupture qu’est la gratuité, c’est engager concrètement la transition écologique et solidaire »20Voir https://www.montpellier.fr/action/les-grands-projets/la-gratuite-des-transports-en-commun-ecologie-decisive-et-pouvoir-dachat explique Michaël Delafosse. En outre, il cite les publics les plus précarisés, bien conscient qu’il s’agit là des plus affectés par le manque de mobilité, « Une mesure solidaire pour nos aînés qui vivent avec de petites pensions, une mesure pour être aux côtés des femmes seules avec enfants, une mesure pour les jeunes afin qu’ils vivent pleinement leur ville »21Idem..
Mais comment Montpellier a-t-elle réussi ce que nos élus clament impossible ? En supprimant deux tiers des distributeurs de tickets grâce au ‘versement mobilité’. Ce versement est un impôt payé par les entreprises22Cet impôt ne concerne que les entreprises de plus de 10 salariés. consacré au financement des transports en commun. Et c’est bien là que réside la différence avec la Belgique car chez nous, cet impôt n’existe pas. On évalue à 100 millions d’euros par an le coût de la gratuité du réseau TEC en Wallonie, somme faramineuse qui devrait être compensée par un impôt aux citoyen·es23Voir https://www.rtbf.be/article/transports-en-commun-gratuits-pourquoi-pas-en-belgique-11435673, du moins en l’absence d’une autre solution… Deux villes belges se sont essayées à la gratuité, Hasselt et Mons ; mais l’une comme l’autre ont dû revenir à l’ancien modèle payant. Dans le cas de Mons, il s’est avéré que l’usage de la voiture n’a pas diminué et que cela coûtait, globalement, trop cher24Idem.. Si l’on doit prendre exemple sur nos voisins, il faut savoir que dans le cas de Montpellier, mais aussi de Dunkerque, où les transports en commun sont également gratuits, cette gratuité s’est accompagnée d’un élargissement du réseau de transports en commun… De quoi motiver et encourager un autre type de mobilité et laisser tomber pour de bon la voiture !
‘To leave no one behind’
Cette phrase, présente dans l’agenda 2030 des Nations unies, se traduit par « ne laisser personne de côté ». Il s’agit également d’une des recommandations d’ATD Quart Monde dans le contexte d’une transition juste. Comment se préoccuper de questions environnementales lorsque chaque jour est une lutte pour vivre dignement ?
Parmi les recommandations pour une transition juste du Service de lutte contre la pauvreté figure « Garantir l’accès à la mobilité pour tous ». Au sein de cette recommandation, quatre directives nous paraissent essentielles pour atteindre nos objectifs de développement durable tout en « ne laissant personne de côté » :
- Renforcer l’offre de transports publics.
- Prendre en compte la fracture numérique au sein des initiatives de mobilité, globalement numériques. En outre, à côté de la fracture numérique (achat des tickets via smartphone ou en ligne) qui affecte ceux qui ne sont pas outillés, il ne faut pas oublier la déshumanisation du service dans les gares ou aux arrêts avec le remplacement du personnel par des machines et billetteries automatiques.
- Développer un cadre politique favorable au partage de voitures et d’autres moyens de transports.
- Soutenir les personnes défavorisées dans l’achat et l’utilisation de vélos (notamment son apprentissage) et développer les facilités de stockage de vélos.25Avis ‘Transition juste et pauvreté, Contribution pour la Conférence pour une transition juste en Belgique, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, octobre 2023, p. 34.
La pauvreté est multidimensionnelle et, nous l’avons vu, il existe un tas de raisons pour que le vélo ou la voiture ne soient pas des options réalistes pour les personnes vivant dans la précarité.
« La mobilité a toujours été un problème, mais elle l’est encore plus aujourd’hui. Des efforts considérables sont déployés pour électrifier les voitures, mais l’avenir de la mobilité ne réside pas dans de simples solutions individuelles, mais aussi dans des solutions collectives : des transports publics accessibles. Il y a beaucoup d’investissements dans les autoroutes cyclables et les pistes cyclables : c’est chouette, c’est bien, mais c’est parce que la classe moyenne le demande, pour utiliser son vélo ou son scooter électrique pour aller partout. Mais ces autoroutes cyclables ne sont pas utilisées par les personnes en situation de pauvreté »26Idem, p. 20., témoigne une association dans laquelle se rassemblent les personnes en situation de pauvreté.
Enfin, il faut tirer le signal d’alarme face au détricotage sans précédent des services publics qui n’en garderont bientôt plus que le nom : « On assiste actuellement à un glissement du public vers le privé en matière de responsabilité de mobilité : de plus en plus, on attend de chaque individu qu’il se déplace par des moyens privés (…). Or, ce glissement de l’infrastructure publique vers les ressources privées, qui va de pair avec la digitalisation des services, augmente les inégalités »27Durabilité et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, Rapport bisannuel 2018-2019, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, p. 72..
Pour une transition juste en matière de mobilité qui ne laisse personne de côté, les efforts doivent être concentrés sur une meilleure accessibilité des transports en commun jusqu’au jour, rêvons un peu, de leur complète gratuité. On l’a vu, cette gratuité est possible : elle pourrait passer par des choix en matière de fiscalité. C’est ce que propose le PTB avec l’élaboration d’une ‘cotisation transport’ qui serait payée par les entreprises de plus de 20 employés, correspondant à l’équivalent du ‘versement mobilité’ français évoqué précédemment. Un autre moyen de financer la gratuité, serait via un « transfert progressif et partiel des budgets dévolus à la carte essence et au régime des voitures salaires »28Voir https://www.lecho.be/guide-elections-2024/questions/mobilite/transports-commun.html, proposition d’Écolo, plus partisan d’une gratuité graduelle et ciblée (partagée par le PS). Elle concernerait d’abord les moins de 25 ans, les plus de 65 ans et les bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM)29Voir https://www.lecho.be/guide-elections-2024/questions/mobilite/transports-commun.html.
Gratuité complète ou ciblée des transports en commun, développement des solutions partagées, piétonnisation des villes et élargissement des réseaux et horaires… Les solutions ne manquent pas pour améliorer la mobilité de manière juste et durable. Il faudra encore s’armer de patience, puisque le MR, siégeant au gouvernement, plaide plutôt pour une gratuité conditionnée, notamment pour les étudiants désireux de poursuivre leurs études ou pour les chercheurs d’emploi en formation30Voir Élections 2024: les transports en commun doivent-ils être gratuits ? L’Echo. Une proposition qui emprunte largement au discours méritocratique du parti et exclurait, si d’application, les plus précarisé·es d’entre nous.
La mobilité est un secteur où la phrase « ne laisser personne derrière » (To leave no one behind) prend tout son sens. Car le manque de transports publics efficaces et accessibles est un frein majeur dans la lutte contre la pauvreté. Une politique de mobilité globale et cohérente – avec les investissements que cela suppose – est indispensable pour que la mobilité ne soit pas un obstacle de plus dans la lutte contre la pauvreté.
- 1Durabilité et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, Rapport bisannuel 2018-2019, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, p. 67.
- 2Propos recueillis lors de la table ronde de l’événement Le bus arrive ? Ou pas. Une conférence sur la précarité en matière de mobilité organisé par le Conseil fédéral du développement durable (CFDD) à Bruxelles le 19 mai 2025.
- 3Durabilité et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, Rapport bisannuel 2018-2019, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, p. 67.
- 4Durabilité et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, Rapport bisannuel 2018-2019, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, p. 70.
- 5Ibidem.
- 6L’effet Matthieu tire son nom d’une citation de l’Évangile selon Saint Matthieu : « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a ».
- 7L’effet Matthieu ou comment le système social profite davantage aux riches qu’aux pauvres, Courrier International 2023, disponible sur https://www.courrierinternational.com/une/la-une-du-jour-l-effet-matthieu-ou-comment-le-systeme-social-profite-davantage-aux-riches-qu-aux-pauvres
- 8Durabilité et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, Rapport bisannuel 2018-2019, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, p. 71.
- 9C’est-à-dire avec une large assise à l’arrière pouvant permettre d’installer jusqu’à trois enfants.
- 10Voir https://www.liege.be/fr/vivre-a-liege/mobilite/velocite/location-de-velo
- 11Op. cit., p. 69.
- 12Durabilité et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, Rapport bisannuel 2018-2019, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, p. 69.
- 13Thomas Piketty : « Pour réussir la transition climatique, il faut répartir autrement les richesses », Le Monde, en ligne le 1er septembre 2025.
- 14Voir https://www.iweps.be/projet/mobwal/
- 15Et si le problème de la mobilité, c’était les bagnoles, partout et tout le temps, Analyse n°14, ASBL Femmes en milieu rural, 2023, p.3.
- 16De type moyen, qui permet de rouler entre 50 et 300 km par mois.
- 17Cette participation financière peut être moindre (150€) mais elle ne concerne que l’abonnement Start dont la limitation mensuelle est de 50 km.
- 18« Près de 20 % des Belges vivent dans une situation de pauvreté liée à la mobilité et ne peuvent donc pas participer pleinement à la vie quotidienne » d’après le rapport Just Transition Scan 2024 cofinancé par l’IFDD (voir https://developpementdurable.be/actualites/les-personnes-vulnerables-sont-les-plus-durement-touchees-par-la-pauvrete-liee-la).
- 19Montpellier n’est pas la seule ville de France à proposer la gratuité de ses transports en commun, 43 autres villes françaises le font d’après le dernier recensement (2024) de l’Observatoire des villes du transport gratuit (voir http://www.obs-transport-gratuit.fr/les-villes-du-transport-gratuit-163/gratuite-totale-184/).
- 20Voir https://www.montpellier.fr/action/les-grands-projets/la-gratuite-des-transports-en-commun-ecologie-decisive-et-pouvoir-dachat
- 21Idem.
- 22Cet impôt ne concerne que les entreprises de plus de 10 salariés.
- 23Voir https://www.rtbf.be/article/transports-en-commun-gratuits-pourquoi-pas-en-belgique-11435673
- 24Idem.
- 25Avis ‘Transition juste et pauvreté, Contribution pour la Conférence pour une transition juste en Belgique, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, octobre 2023, p. 34.
- 26Idem, p. 20.
- 27Durabilité et pauvreté. Contribution au débat et à l’action politiques, Rapport bisannuel 2018-2019, Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale, p. 72.
- 28Voir https://www.lecho.be/guide-elections-2024/questions/mobilite/transports-commun.html
- 29Voir https://www.lecho.be/guide-elections-2024/questions/mobilite/transports-commun.html
- 30Voir Élections 2024: les transports en commun doivent-ils être gratuits ? L’Echo


02 227 66 80