Illustration de personnes d’origines différentes sur un bateau pneumatique.
Analyse

Exil et confinement

Migrants
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Les candidats réfugiés : ces autres oubliés ?

Comme elles semblent loin ces images de migrants entassés au Parc Maximilien, en plein cœur de Bruxelles : les premières datent d’il y a cinq ans. Pourtant, aujourd’hui, le sort des candidats à l’exil ne s’est pas amélioré, entre Brexit,Covid, crise européenne de l’accueil, etc. Y a-t-il une lueur d’espoir pour eux ?

Cinq ans que les images de migrants autour du Parc Maximilien à Bruxelles sont venus bousculer nos consciences. Cinq ans que des particuliers se mobilisent pour accueillir chaque soir, chez eux, ces candidats d’un exil à l’autre. À regarder l’actualité médiatique, le téléspectateur pourrait avoir l’impression que le problème est réglé. Sommes-nous soumis à un effet d’optique, sous le coup de focus médiatiques ? « À moins que l’on ne soit habitués », interroge Jean-François Lauwens en introduction de l’émission Juste Terre du 19 janvier 20211La présente analyse donne échos entre autres à l’émission Juste Terre du mardi 19 janvier, produite par Action Vivre Ensemble, animée par Jean-François Lauwens, avec pour invité Baudouin Van Overstraeten, directeur de Jesuit Refugee Service Belgium : https://rcf.fr/actualite/social/refugies-l-enfer-c-est-pour-les-autres.

Car en y repensant, « les images insupportables ont continué à déferler, sans plus vraiment nous émouvoir. Celle de la crise gréco-turque, celle de l’incendie du camp de Moria, celle de migrants coincés dans la neige de Bosnie, celles des expulsions hebdomadaires de Calais et du centre de Paris. » Au cours des derniers mois, le Brexit, le Covid… sont venus compliquer la situation des personnes migrantes.

Détours par les chiffres

Dans ces dernières estimations, l’organisation internationale pour les migrations chiffre à 272 millions le nombre de migrants internationaux dans le monde, (soit 3,5 % de la population mondiale). Publiant l’état de la migration dans le monde en 2020, elle apporte des précisions : « Si l’immense majorité de la population mondiale continue de vivre dans le pays de naissance, un nombre croissant de personnes migrent dans d’autres pays, surtout à l’intérieur de leur région. Beaucoup d’autres migrent dans des pays à revenu élevé plus éloignés. La quête de travail est la raison principale pour laquelle on migre à l’échelle internationale (…) ».

Les données mondiales révèlent aussi que les « déplacements provoqués par un conflit, la violence généralisée et d’autres facteurs atteignent toujours des niveaux records » : le nombre de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays pour ces raisons s’élève à plus de 41 millions, et le nombre de réfugiés hors de leur pays à près de 26 millions2Plus d’infos https://www.un.org/fr/sections/issues-depth/migration/index.html. Notons également que le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) estime en cette fin janvier 2021 que le nombre de personnes arrivées par voies maritime et terrestre en 2020 a diminué par rapport à 2019 : 95.000 (2020) – 123.700 (2019). https://plus.lesoir.be/351713/article/2021-01-28/le-droit-dasile-est-en-peril-en-europe-selon-le-hcr.

Ce sont ces deux derniers chiffres que Baudouin Van Overstraeten pointe du doigt. Pour le directeur de Jesuit Refugee Service, que les gens aient besoin de bouger est profondément ancré dans la nature humaine et relève de la normalité. Par contre, cela devient plus problématique quand il s’agit de se réfugier, de fuir la violence ou la faim. C’est dans ce sens que le JRS étend son action aux réfugiés et ‘migrants forcés’.

La violence et les conflits interminables, non résolus et récurrents ont entraîné une forte augmentation du nombre de réfugiés dans le monde ces dernières années, parmi lesquels se trouve une proportion importante de femmes et d’enfants.

Baudouin Van Overstraeten reprend d’autres chiffres, qui « doivent nous parler » insiste-t-il.

  • Il n’y aurait eu « que » 1.200 morts en Méditerranée sur l’année 2020. Une diminution apparemment, au regard des 5.000 morts annuels dans un passé récent. « Dans le même temps, remarque Baudouin Van Overstraeten, la route migratoire s’est déplacée vers la côte Atlantique de l’Espagne. On constate qu’il y a près de 2.200 migrants qui ont péri en tentant de gagner l’Espagne par voie maritime, par l’Ouest. Ce qu’on a gagné d’un côté, on le perd de l’autre. »
  • Autre chiffre qu’il avance pour éclairer la réalité des migrations aujourd’hui : plus de 9.500 traversées ou tentatives de traversée de la Manche et une dizaine de mort, en 2020.

« Cela indique que l’attrait de la Grande Bretagne est toujours le même, quelles que soient les perspectives de Brexit et autres. Cela dit que la migration, reste ce qu’elle a toujours été un mouvement naturel qu’il est illusoire de vouloir arrêter. Et surtout qu’à défaut de voies légales de migration, les migrants forcés ne reculeront devant aucun risque pour réaliser leur rêve »

La crise sanitaire qui invisibilise

En Belgique, le CGRA – Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides – vient aussi de publier ses statistiques 2020. Qu’indiquent-elles ? Que « 16.910 personnes ont introduit une demande de protection internationale auprès de l’Office des étrangers » ; que « ce nombre est inférieur à celui de 2019, lorsque 27.742 personnes avaient introduit une telle demande » et qu’ « il faut remonter à l’année 2008 pour avoir un nombre de demandes aussi peu élevé ». Cette diminution, le CGRA la met en lien avec le contexte du Covid. Les restrictions pour voyager ont certainement leur part à jouer.

Mais « la suspension temporaire de l’enregistrement », qu’évoque aussi le CGRA, doit être dénoncée. « (…) il s’est passé quelque chose de gravissime en Belgique en 2020, estime Baudouin Van Overstraeten. (…) dans le flot des mesures Covid, il a été décidé d’empêcher les demandeurs d’asile d’introduire leurs demandes, pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. On a essayé d’instaurer la possibilité d’introduire une demande par voie digitale. Ce qui n’est pas à la portée de n’importe quel demandeur d’asile ». Or, l’introduction de la demande d’asile, conditionne le fait d’être accueillis dans les structures de Fedasil. De ce fait, des centaines de demandeurs d’asile se sont retrouvés sans abris, en pleine crise sanitaire.

« On a pris des mesures de lockdown, pour protéger la population. Mais la population la plus vulnérable par définition, qui n’a pas de toit, qui n’a pas de relation, qui n’a pas de soutien en Belgique, se voyait dénier le droit d’introduire une demande d’asile et avoir accès au réseau d’accueil. » L’État fédéral a été condamné. Mais il a fallu attendre un certain temps avant que ne soient rétablies des modalités d’inscription adaptées aux personnes concernées.3A noter également la suspension par Le Conseil d’État des auditions réalisées par le CGRA en vidéoconférence avec les demandeurs d’asile hébergés en centres ouverts. Pratiquées depuis 2016 pour les personnes détenues en centres fermés, elles avaient été étendues aux centres ouverts, à l’occasion de la pandémie. « Ce système ne permet pas de refléter le langage non verbal, important pour décrire des situations stressantes, des mauvais traitements, vécus ou craints, argue la Ligue des droits humains. De plus, ces auditions ne respectent pas les critères de confidentialité essentiels dans une procédure d’asile. »

Fin 2020, le CGRA fait état d’un grand nombre de dossiers en attente de décision : 12.663. Un arriéré dénoncé régulièrement, pour l’attente trop longue : entre 8 et 10 mois en moyenne. Le CGRA annonce disposer du personnel nécessaire pour continuer en 2021 à résorber l’arriéré.4https://www.cgra.be/fr/actualite/statistiques-dasile-bilan-2020

La crise sanitaire qui fragilise

Durant le premier confinement, les centres fermés ont été « délestés » d’environ la moitié de leurs populations.

Du côté du Jesuit Refugee Service Belgium, actif dans les centres fermés, on a constaté la volonté des autorités de répartir les personnes détenues de sorte qu’elles soient moins les unes sur les autres, de diminuer la densité dans chacun des centres. Les six centres fermés que compte la Belgique sont restés en activité pendant le premier confinement. Et ce n’est que récemment, qu’un centre fermé a dû cesser la détention des personnes, celui de Bruges ; dans la mesure où la moitié du personnel et un certain nombre de détenus ont été diagnostiqués positifs au Covid 19. Ils ont été répartis sur deux ou trois autres centres.

La Ligue des droits humains salue quant à elle, le travail des avocats et avocates pour la libération d’un certain nombre de personnes détenues. « Les frontières étant fermées, les départs forcés des personnes étaient devenus impossible à organiser. Il n’y avait donc plus de base légale à l’enfermement des personnes sous le coup d’un ordre de quitter le territoire ».

Libération ou expulsion des centres fermés, la situation de ces exilés reste finalement difficile et l’accueil insuffisamment prévu. Comme le dénonce Baudouin Van Overstraeten : « le premier réflexe du monde politique, dans cette crise d’ampleur, ne va pas au plus exclu ».

Du non-hébergement

Migrants en transit vers un autre pays, exilés en attente pour introduire une demande d’asile, personnes sans papiers, etc… nombre de personnes se retrouvent hors des circuits officiels.

L’aide humanitaire tente d’apporter une réponse à ce vide structurel. Mais non sans mal.

Mi-décembre, la Plateforme citoyenne BxlRefugees, Médecins du monde et Médecins sans frontières alertaient une nouvelle fois sur la situation d’accueil : « Les équipes sont confrontées à la violence de l’annonce du manque de place, entraînant une frustration croissante ressentie tant par les personnes en attente d’hébergement que par les équipes sur le terrain. L’accès à l’hébergement est devenu un choix schizophrénique des travailleurs de première ligne, sur base d’un calcul de vulnérabilités cumulées, et ce dans des conditions météorologiques plus compliquées chaque jour. »5Voir « dernières nouvelles » sur http://www.bxlrefugees.be/

Vers une politique d’accueil plus humaine ?

Début octobre, un nouveau gouvernement fédéral voyait le jour. Après le pilotage de Maggie De Block (OpenVLD) et surtout de Théo Francken (NVA), la politique d’asile et de migration va-t-elle prendre un autre tour ? D’après les associations, l’arrivée au poste de secrétaire d’Etat de Sammy Mahdy (CD&V) montre un changement de style, de ton. Mais, « si certaines mesures envisagées semblent clairement s’inscrire en réaction par rapport aux politiques et aux discours des gouvernements précédents, indique le Ciré6Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers – www.cire.be/, d’autres mesures s’inscrivent dans la même ligne. Il est toujours question de politique ‘ferme mais humaine’, de retour volontaire si possible, forcé si nécessaire… »7https://www.cire.be/publication/analyse-de-la-note-de-politique-generale-asile-migration-du-4-novembre-2020/. La vigilance des ONG reste aigue.

Parmi les aspects critiques : l’absence de perspective de régularisation des personnes sans papiers ; la « fuite en avant dans la construction de centres fermés »8https://www.cncd.be/belgique-gouvernement-vivaldi-politique-migratoire-de-ferme-mais-humaine-a-humaine-et-juste. Le principe de la détention comme dernier ressort en vue du renvoi volontaire si possible, forcé sinon, est maintenu…, explique Baudouin Van Overstraeten qui se dit d’un optimisme prudent, percevant une certaine ouverture au dialogue et aux alternatives à la détention. Il évoque un projet d’alternatives à la détention pour des familles en exil avec des enfants mineurs. « En les accompagnant de façon intensive, on vise à leur rendre confiance en eux-mêmes et dans les autorités belges et à trouver ensemble des solutions durables – légales – à leurs parcours migratoires ».

Des perspectives avec un pacte européen ?

La stratégie européenne est à cet égard d’une importance capitale. D’après la note d’intention du gouvernement, la Belgique souhaite « jouer un rôle pionnier » et contribuer activement à la défense d’une politique européenne commune qui œuvre à plus de « responsabilité » et de « solidarité entre États membres ». L’intention est positive, estime le Ciré.

Mais l’ensemble du monde associatif est très inquiet face au Pacte sur l’asile et la migration tel que proposé par la Commission européenne, et face à l’absence de critique du gouvernement belge. « Le Pacte propose une solidarité à la carte, les États pouvant choisir entre accueillir des demandeurs de protection internationale via les relocalisations, ou participer au retour forcé en parrainant les expulsions », observe le Ciré. « L’ensemble du monde associatif est catastrophé de voir qu’on reprend des idées anciennes qu’on recycle, indique Baudouin Van Overstraeten. On reste dans l’optique d’arrêter et de contrôler les migrants aux frontières extérieures de l’Union européenne. Et de veiller à ce qu’ils soient rapatriés les plus vite possible. » Il y voit un mauvais remake des décisions prises en 2016, alors que l’Union crée ces « hot spot », lieux de détention qualifiés d’inhumains9« Ne se trouvent là-bas que des femmes, des enfants, des hommes qui n’avaient plus rien à perdre et ont tout quitté pour un avenir meilleur. Ne l’oublions pas. Ne l’oublions jamais. C’est notre humanité qui est en jeu, là-bas, si loin là-bas, aux frontières d’une Europe qui nie, chaque jour, l’universalité des droits humains ». Extrait de État des droits humains en Belgique – Rapport 2020, publié par la Ligue des droits humains – www.liguedh.be/, à ses frontières. « Repartir avec les mêmes principes de base va nécessairement générer les mêmes effets », avertit le directeur du Jesuit Refugee Service.

Conclusions

Le coronavirus a occulté une réalité toujours aussi scandaleuse. Celle du traitement inhumain et dégradant aux frontières de l’Europe. Celle du refus d’accueil d’exilés qui fuient leur pays, pour un avenir qu’ils espèrent meilleur ailleurs. Celle de migrants bloqués dans une forme de no man’s land. Celle du bricolage solidaire qui continue de pallier l’absence d’hospitalité.

L’universalité des droits est loin d’être acquise. Une politique d’asile et de migration digne se doit d’être guidée par ce principe. Il y a apparemment encore du chemin pour y parvenir.

Catherine Daloze
Chargée d’études pour Action Vivre Ensemble

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