Deux paires de mains coupent de grande quantités d'oignions
photo par Christine Grard
Analyse

Les cantines solidaires – démocratie en pratique autour des casseroles

par Christine Grard, volontaire pour Action Vivre Ensemble
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Dans le contexte actuel d’incertitudes multiples, de mal-être ambiant et de discours populistes, les initiatives favorisant la participation citoyenne représentent un contre-modèle au repli identitaire et aux discriminations. Souvent méconnues, ces initiatives proposent pourtant des modèles sociopolitiques et économiques inclusifs porteurs d’espoir. Parmi elles, des associations de plus en plus nombreuses voient le jour autour du thème de l’alimentation. Par leurs actions concrètes, elles sont la preuve que peut exister au quotidien, un vivre-ensemble apaisé et enthousiaste, source de bien-être et de belles perspectives pour le futur.

Introduction – l’exemple du Pérou

Deux personnes coupent de grand quantités de légumes

Au Pérou, lors de la pandémie de Covid-19, face à l’urgence de nourrir leurs familles en plein confinement, des groupes de femmes se sont organisés pour trouver des vivres et les cuisiner. Elles ont fondé des ‘ollas comunes’ (casseroles communes), un modèle proche des ‘comedores populares’ (soupes populaires) qui existent à Lima depuis les années 1980. Contre toute attente, la réponse à cette crise brutale et à une famine aigüe, dans l’un des lieux les plus désertiques au monde, n’a pas été le pillage des magasins et des marchés, mais bien au contraire la solidarité. Des voisines et des voisins se sont rassemblés autour d’une ‘casserole commune’ alimentée par ce que chacun et chacune avait ou pouvait trouver, sans l’aide de l’État ou d’une structure officielle. Ces repas étaient partagés entre les participant.e.s mais aussi avec des familles du quartier les plus en difficulté. Début 2024, soit deux ans après la fin du confinement, plusieurs de ces groupes informels continuent à cuisiner alors que les activités économiques ont repris.

Ce qui fait sens pour les organisatrices, bien au-delà de distribuer de la nourriture dans un contexte économiquement précaire, c’est la rencontre entre voisines et voisins, c’est la bonne humeur qui circule… C’est aussi et surtout offrir la possibilité à des mères de familles en difficulté de s’asseoir un moment, de raconter et d’oser dire les vécus pénibles. Les problèmes pèsent un peu moins lourd lorsque l’on peut les partager… La vie est moins angoissante lorsque l’on n’est pas seul, lorsque l’on est écouté et compris.

Une personne cuisine à l'extérieur dans deux très grandes casseroles.

À Bruxelles et en Wallonie, des groupes similaires existent dans l’objectif de cuisiner dans un esprit proche de celui du Pérou. À contre-courant des discours qui désignent des boucs émissaires pour justifier les problèmes actuels, ces cuisines de quartier solidaires sont force de propositions lumineuses.

Un contexte morose

Dans cette atmosphère d’incertitudes, de troubles et de crises multiples (économique, politique, sécuritaire, sociale, migratoire, sanitaire et religieuse), de plus en plus de personnes se plaignent du manque de solutions et de ne pas compter pour ceux qui nous gouvernent. Le doute sur la possibilité d’améliorer les conditions de vie crée un climat anxiogène diffus. Ce doute est exacerbé par la globalisation économique et financière ainsi que par un sentiment de déshumanisation lié, entre autres, à une numérisation de plus en plus imposée du fonctionnement de notre société1GIRAUD, Gaël, Composer un monde en commun, Paris, éd. Seuil, 2022..

Une partie de la population éprouve des difficultés à appréhender et à décoder ce réel. Elle cherche des explications simples et des stratégies d’action qui lui permettent de sortir du sentiment de fatalité et d’impuissance. Elle a tendance à raccrocher son ressenti et ses émotions à des explications aux raisonnements simplistes, volontiers diffusés par les groupes populistes, voire extrémistes2IPPERSIEL, C., Le retour de l’extrême droite chez les jeunes, Oxfam, 2024. Disponible sur oxfammagasinsdumonde.be Polarisation sociale et extrémismes (violents) : quels constats en Belgique francophone ?, Fédération Wallonie-Bruxelles, 2022, p. 32-36. Disponible sur extremismes-violents.cfwb.be. Le malaise social et l’angoisse sont aussi exacerbés par les discours sur la ‘crise des réfugiés’ qui profite des sentiments d’insécurité pour les présenter comme encombrants et menaçants – particulièrement depuis les attentats qui ont émaillé ces vingt dernières années3COOLSAET, R., Terrorismes et radicalisations à l’ère post-Daech, Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique, n°3, 2019, p. 341.. La diffusion de discours désignant des groupes boucs émissaires responsables des difficultés et de théories du complot ou de celle du grand remplacement favorisent la méfiance vis-à-vis des institutions officielles et de nombreuses organisations sociales qui sont pourtant aux avant-postes lorsqu’une crise aigüe survient.

« Ces théories imprègnent les esprits par petites doses, car elles contiennent toujours une part de vérité. Chacun y prend ce qui lui convient et peut y obtenir la réponse qu’il cherchait parfois désespérément : pourquoi il ne trouve pas sa place, pourquoi il échoue, pourquoi le monde va mal, pourquoi il y a des injustices, etc. Certaines personnes se laissent aussi convaincre parce qu’elles savent que, véritablement, des complots existent, ont existé par le passé4Polarisation sociale et extrémismes (violents) : quels constats en Belgique francophone ?, Fédération Wallonie-Bruxelles, 2022, p.32.. »

Ces discours favorisent un repli identitaire basé sur une perte de confiance qui se mue parfois en défiance de ‘l’autre’ et en rejet des acteurs politiques qualifiés d’incompétents voire de corrompus et soumis à divers intérêts au détriment de la population5Idem, p. 34..

Dans ce contexte de méfiance, le vivre ensemble et la recherche de socialisation ont tendance à se réduire à l’adhésion à des groupes dont les membres cherchent une même appartenance et se définissent comme ayant une ‘identité culturelle’ commune. Ce qui les fédère « ce n’est ni une idéologie ni un programme mais une dramaturgie et un climat émotionnel mêlant colère, dégoût, peur et ressentiment6Guillaume Lohest cité par Simon-Pierre de Montpellier dans Petit manuel de résistance à l’extrême-droite, 2024. Disponible sur centreavec.be ». Ces personnes échangent des contenus et discutent sur les réseaux sociaux, s’entraident et s’organisent pour manifester et diffuser leurs points de vue. Certaines ont alors le sentiment de prendre part à une grande aventure collective qui donne une orientation7Polarisation sociale et extrémismes (violents) : quels constats en Belgique francophone ?, Fédération Wallonie-Bruxelles, 2022, p.33. et des clés de lecture qui distinguent le « proche » de « l’étranger », le « bon » du « mauvais », le « bienvenu » de « l’indésirable », ce qui est à proscrire et ce qui est à rechercher. Leur colère s’oriente vers ceux qui sont désignés comme les profiteurs du système : les demandeurs d’asile, les « étrangers », les chômeurs, les malades et ceux qui les soutiennent, c’est-à-dire les acteurs sociaux et les organismes de défense des droits humains.

Cette vague de radicalisme xénophobe et eurosceptique biaise le débat public, met en doute les valeurs démocratiques de liberté, de solidarité et de fraternité sur lesquelles repose la société et réclame un système autoritaire qui fera une différence de droits entre ceux qui seraient les vrais citoyens et « les autres »8BALEMBA BATUMIKE, Patrick, La montée de l’extrême droite, ses conséquences pour la démocratie en Europe,Justice & Paix,  septembre 2024. Disponible sur justicepaix.be.

Derrière les discours, des besoins

Les attentes sur lesquels surfent les discours populistes sont le besoin de sécurité dans un climat d’incertitude, le besoin de reconnaissance et de considération, le besoin de justice, le besoin de pouvoir contrôler activement le fil de sa vie et le besoin de faire communauté avec des personnes sur qui il est possible de compter, à qui l’on peut faire confiance.

Étrangement, ce sont ces mêmes besoins qui font naitre chez certaines personnes le désir d’y répondre par des propositions d’associations inclusives, radicalement opposées à la défiance et au repli sur soi. Ces associations sont souvent petites, à l’échelle d’un quartier ou d’une petite entité, mais chacune participe, à sa façon, à la construction du maillage associatif qui s’érige en barrière au repli identitaire. En Wallonie et à Bruxelles, le nombre important d’associations et leur mise en réseau ainsi que leur travail d’éducation permanente expliquent que l’extrême droite s’y soit moins développée que dans d’autres régions européennes9Ariane Estenne citée par Simon-Pierre de Montpellier dans Sommes-nous vraiment démocrates ?, Centre Avec, 2023. Disponible sur centreavec.be.

Des groupes organisés autour de l’alimentation, pour des perspectives positives

Ces quelques dernières années, sont apparus, en Wallonie et à Bruxelles, des groupes de personnes, des femmes surtout, qui s’organisent pour cuisiner ensemble et proposer des repas à prix démocratique. Leur démarche est une démarche d’émancipation collective, grâce au partage des expériences et des savoirs. Il s’agit comme l’explique Ariane Estenne, présidente du Mouvement ouvrier chrétien (MOC)  de permettre aux personnes « de passer d’une position passive, d’un sentiment d’abandon, d’aliénation, de désespoir ou de colère, à une position active d’organisation et d’action collective, et d’être acteurs du changement »10Idem..

Les Cuisines de Quartier – Remettons la nourriture de tous les jours au premier plan de l’action publique et communautaire 

Le nom « Cuisines de Quartier »  est celui d’un mouvement pour l’alimentation saine et éthique qui rassemble une dizaine de groupes de personnes aux parcours variés. Ce sont des initiatives relativement récentes. Ces personnes ont en commun l’envie de cuisiner régulièrement à plusieurs, de partager du temps, un budget, des expériences et des savoirs. Les groupes naissent spontanément ou à l’initiative de structures existantes. Chaque groupe choisit la fréquence de ses rencontres, ses recettes, ses sources d’approvisionnement et son mode de fonctionnement. Les plats sont partagés selon le nombre de portions commandées par chaque membre.

Le mouvement défend l’accès de chacun, quel qu’il soit, à une alimentation suffisante et de qualité. Il apparait en Belgique à la suite d’une recherche-action  réalisée dans un quartier de Bruxelles de 2015 à 2018, « Favoriser l’accès à une alimentation durable et de qualité pour un public représentatif de la diversité urbaine par l’implantation locale d’un modèle innovant de supermarché coopératif »11La recherche-action Falcoop est une recherche participative menée en partenariat entre BEES coop et le Centre d’Etudes Economiques et Sociales de l’Environnement (CEESE) de l’Université libre de Bruxelles. Elle avait pour objectif de favoriser, puis consolider, l’ancrage du supermarché coopératif dans un quartier urbain multiculturel. Pour plus d’informations sur cette recherche, voir falcoop.ulb.be. Ce mouvement s’inspire aussi des cuisines communautaires qui, partout dans le monde, et depuis la nuit des temps, renforcent les liens entre les gens et permettent de lutter contre la précarité alimentaire. Il peut s’agir par exemple des ‘ollas comunes’ et des ‘comedores populares’ au Pérou (voir supra), des ‘marmites communautaires’ au Soudan, des cuisines collectives au Québec12Le Réseau des Cuisines Collectives du Québec est né dans les années 1970 à l’initiative de trois femmes. Il existe actuellement 1.400 groupes qui cuisinent plus de 1,5 million de rations chaque année. , etc.

Le mouvement est volontairement hétérogène tant au niveau de l’âge des participantes et des participants que de leurs situations socio-économiques et de leurs bagages culturels. Il est attentif au respect des singularités de chaque personne et de chaque groupe. Tous les groupes qui le souhaitent peuvent intégrer le mouvement des Cuisines de Quartier à la condition que l’objectif soit de cuisiner ensemble des plats pour le quotidien des familles des personnes participantes et que le groupe adhère aux grands principes fondateurs du mouvement :

  • La valorisation des compétences et du savoir-faire,
  • L’entraide et l’apprentissage mutuel,
  • La non-discrimination de genre, d’apparence, de situation socio-économique, d’appartenances religieuses et culturelles, de situation physique, etc.
  • L’échange d’outils, de bons plans, de recettes, de techniques, etc.
  • La mise en commun de problématiques et de solutions pratiques et concrètes,
  • L’expression de revendications,
  • L’organisation d’actions en faveur de la démocratie alimentaire.

De façon plus spécifique, ses objectifs pratiques visent à réduire les coûts et le temps passé à cuisiner, avoir des bons plats “maison” prêts à manger lorsqu’on manque de temps et/ou d’argent, accéder à un espace et à des équipements adéquats pour cuisiner en grande quantité, partager des connaissances et des savoir-faire culinaires et diététiques, lutter contre l’isolement social, les discriminations et les préjugés, s’entraider comme moyen de tisser du lien et de faire plus facilement face à l’adversité et enfin comprendre et agir sur les incohérences du système alimentaire actuel. Au-delà des caractéristiques communes, chaque groupe à ses spécificités. En voici quatre d’entre eux13Une présentation de tous les groupes est accessible en ligne sur le site des cuisines de quartier cuisinesdequartier.be.  

Les Mosaïques des saveurs. Fondé à Jette en 2018 par et pour (de manière exclusive) des femmes, il s’agit du plus ancien groupe. Il se réunit deux jeudis par mois avec comme objectifs principaux la découverte d’autres cultures, la rencontre et le partage.  Le groupe cuisine aussi des portions solidaires.

« Ça chauffe ! ». Ce groupe se réunit tous les mardis depuis 2020. Il est organisé par « l’Espace Social » du centre de Bruxelles et cuisine principalement des invendus. Il est ouvert à tous. L’objectif, outre la rencontre et les échanges entre les participantes et les participants, est de donner aux populations précarisées la possibilité d’accéder à une alimentation de qualité. Cette initiative s’appuie aussi sur l’idée que pour accéder à une alimentation de qualité les ingrédients doivent être produits dans de bonnes conditions, c’est pourquoi le groupe va aussi à la rencontre des maraichers de la région. Dans cette même perspective, il a développé des bacs potagers près de l’endroit où ils cuisinent.

Cucina. Implantée à Forest, l’une des participantes à l’initiative du projet ouvre sa maison et sa cuisine pour y accueillir le groupe une fois par mois. Parmi les membres, beaucoup de familles dont les enfants sont scolarisés dans la même école. L’objectif des participants et des participantes est d’assurer à leurs familles une alimentation saine et équilibrée, bon marché, en utilisant des légumes et des produits de saison. Le groupe prépare également des bocaux qui peuvent être conservés plusieurs semaines : des risottos, du chili, des gratins, des pâtes à tartiner, etc. Ces plats agrémentent le quotidien entre deux rencontres culinaires.

Casa. Ce groupe de Schaarbeek rassemble principalement des personnes hispanophones deux après-midis par mois. Il cuisine exclusivement des invendus ce qui demande de l’imagination, de la créativité et de la débrouille. Outre la rencontre et le partage d’un bon moment, l’objectif est de réduire les coûts du quotidien.

 Les lieux d’accueil et de partage 

Le Café Monde a été mis en place à Louvain-la-Neuve par des étudiants en collaboration avec BELRefugees14Projet soutenu par Action Vivre Ensemble en 2023. Pour plus de détails sur la plateforme, voir Belrefugees, une plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés. C’est un lieu et un espace qui s’appuient sur les expériences d’hébergement en famille proposé par la Plateforme et le constat que la vraie compréhension de « l’autre » n’est possible que dans la rencontre. Son but est de créer du lien entre les personnes issues de la migration, quel que soit leur statut, et les personnes qui vivent, travaillent ou étudient à Louvain-la-Neuve.

« Être sans statut, c’était assez compliqué, assez violent, mais j’ai eu la chance d’être accueilli dans des familles hébergeuses de la Plateforme. Les premières fois dans les familles, ce n’était pas facile. Dans ma tête, à l’époque, il y avait quelque chose qui était différent. Moi, je suis Soudanais, je viens d’une culture qui ne ressemble pas forcément à la culture belge. Les contacts n’étaient pas faciles au début. Mais peu à peu, des liens se créent entre hébergeurs et hébergés. Ça diminue beaucoup le stress et la pression liés au parcours migratoire, à l’incertitude de la situation et à la nécessité de reconstruire une vie dans une société où tu es forcément un étranger »15Témoignage d’un participant (traduit par un bénévole arabophone de l’équipe du Café Monde) et publié par Action Vivre Ensemble.

Le Café Monde sert des boissons et des « grignotages » du jour (soupe, houmous, smoothies, gâteaux, etc.), qui sont élaborés grâce à la récupération des invendus (boulangerie, légumes, fruits). Le prix des consommations est laissé à l’appréciation de chacun et chaune (participation libre et solidaire) jusqu’à une possible gratuité complète. La consommation n’est pas obligatoire et chacun peut aussi y pique-niquer. Il est aussi possible d’y jouer à des jeux de société, de lire, d’écouter de la musique, d’y organiser des ateliers ou des expos, etc. Il est ouvert à tous et à toutes, les après-midis16Voir facebook.com/LeCafeMonde.

La Bavette, restaurant thérapeutique social. À Sambreville, le restaurant social « La Bavette » est un atelier thérapeutique qui offre un cadre de travail convivial à une douzaine de personnes qui souffrent de mal-être ou de dépression17Ces personnes sont envoyées soit par l’hôpital d’Auvelais, soit par un médecin traitant ou un service social, ou viennent de leur propre initiative.. Par le travail en commun et le service aux clients, ce projet contribue à retisser des liens sociaux perdus ou distendus et à remettre le moteur social en route par le biais du travail. Il permet aux participantes et aux participants de se sentir valorisés, d’avoir une meilleure image d’eux-mêmes en retrouvant du plaisir à travailler.  La Bavette relève à la fois de l’entreprise économique et sociale et du courant antipsychiatrique. Ce restaurant sans but lucratif confectionne des repas à prix démocratiques pour des personnes qui y trouvent les bienfaits d’une table d’hôtes conviviale.18GENTILE, Laura, Auvelais : l’atelier thérapeutique du CHRSM se réinvente, Télésambre, 2022. Voir telesambre.be

« En se centrant sur la cuisine, en faisant la vaisselle, en nettoyant les légumes, en faisant les comptes ou le service à table, les participants retrouvent un rythme de vie et se sentent mieux une fois qu’ils rentrent chez eux. Des liens se nouent entre eux et les clients. Ils retrouvent une image d’eux-mêmes plus valorisante et se sentent reconnus par le public »19Témoignage de Anne-Marie Dufour, psychologue, cité par Laura Gentile (telesambre.be)

La Marmite, cantine collective à prix libre. Il s’agit d’un collectif autogéré de cuisine collective qui se réunit une fois par mois à l’ASBL Sans Patron à Liège et qui  propose un repas vegan à prix libre. Le choix de son nom traduit le projet : nourrir largement et collectivement, refaire du lien social, de la solidarité entre les différents revenus et les différents groupes d’appartenance. La Marmite est un nom qui traduit une proposition politique … Si « elle [la marmite] est renversée, c’est tout un système qui s’effondre ».  Proposer un prix libre est aussi pour les organisateurs une manière de questionner le système capitaliste, de repenser le rapport à l’argent, la valeur des choses et la question du travail.20Voir  sanspatron.be

Le projet, ainsi que l’ASBL Sans Patron, défend quatre principes :

  • La suppression de toute distinction entre dirigeants et dirigés.
  • La transparence et la légitimité des décisions.
  • La non-appropriation, par certains, des richesses produites par le collectif.
  • L’affirmation de l’aptitude des humains à s’organiser sans dirigeant.

Et bien d’autres encore…

La liste des initiatives est longue et il est impossible de les nommer toutes ici. Il en existe dans de nombreux lieux en Wallonie, à Bruxelles et plus largement en Belgique. Certains de ces projets sont temporaires, d’autres saisonniers, d’autres encore perdurent au fil des mois et des années. Leurs points communs sont d’être inclusifs, de promouvoir la convivialité, le partage, la recherche d’une alimentation saine et abordable pour les budgets étriqués, de rassembler des personnes d’origines socio-économiques et culturelles diverses.

Conclusion – Autour des casseroles, une réponse citoyenne à l’exclusion

Les crises successives économique, sanitaire, environnementale et politique provoquent de l’anxiété chez de nombreuses personnes. Elles appellent à des décisions fortes et des actes vigoureux, des mesures radicales pour retisser un avenir plus serein. Alors que certains groupes, souvent liés à l’extrême droite, le font en désignant des boucs émissaires, d’autres groupes, comme ceux qui se réunissent pour cuisiner, inventent, par des actions concrètes, des chemins inclusifs pour mieux vivre au quotidien. Ces groupes démontrent le non-sens des exclusions et des discriminations. Ils prouvent que l’accueil, la convivialité, la participation et la solidarité sont des leviers puissants de démocratie citoyenne.

Les initiatives que nous avons présentées font bien plus que lutter contre la faim même si l’accès à une alimentation saine et bon marché est au centre de ces projets. Ces initiatives sont aussi des interpellations et des propositions politiques adressées aux acteurs sociopolitiques, car nous retrouvons dans leurs chartes et leurs façons de travailler les piliers fondamentaux de la démocratie.

  • La liberté de participer, sans condition autre que celle de respecter chacun·e quels que soient ses convictions et ses références culturelles, liberté de parole et et d’expression de ses besoins, etc.
  • Une communication bienveillante claire et transparente.
  • Une bonne gouvernance.
  • L’égalité entre les participantes et participants, quels que soient leur situation, statut ou origine culturelle. Des responsabilités partagées, un échange de conseils et de savoirs.
  • La solidarité, l’entraide et la confiance comme postulats de base pour créer du lien social, du dialogue, des échanges et faire vivre un projet commun.

Ces acteurs tracent la voie pour une politique du care21Projet politique proposé par Joan Tronto, politologue américaine dans Un monde vulnérable – pour une politique du Care, éd. La Découverte, 2009., c’est-à-dire prendre soin de chacun et de la société en tant que collectif. Elles et ils insistent sur l’importance d’écouter et de prendre en compte les suggestions de ceux qui dans l’ombre construisent concrètement le socle d’un projet d’avenir et d’une société multiculturelle inclusive et pacifiée.

  • 1
    GIRAUD, Gaël, Composer un monde en commun, Paris, éd. Seuil, 2022.
  • 2
    IPPERSIEL, C., Le retour de l’extrême droite chez les jeunes, Oxfam, 2024. Disponible sur oxfammagasinsdumonde.be Polarisation sociale et extrémismes (violents) : quels constats en Belgique francophone ?, Fédération Wallonie-Bruxelles, 2022, p. 32-36. Disponible sur extremismes-violents.cfwb.be
  • 3
    COOLSAET, R., Terrorismes et radicalisations à l’ère post-Daech, Revue internationale de criminologie et de police technique et scientifique, n°3, 2019, p. 341.
  • 4
    Polarisation sociale et extrémismes (violents) : quels constats en Belgique francophone ?, Fédération Wallonie-Bruxelles, 2022, p.32.
  • 5
    Idem, p. 34.
  • 6
    Guillaume Lohest cité par Simon-Pierre de Montpellier dans Petit manuel de résistance à l’extrême-droite, 2024. Disponible sur centreavec.be
  • 7
    Polarisation sociale et extrémismes (violents) : quels constats en Belgique francophone ?, Fédération Wallonie-Bruxelles, 2022, p.33.
  • 8
    BALEMBA BATUMIKE, Patrick, La montée de l’extrême droite, ses conséquences pour la démocratie en Europe,Justice & Paix,  septembre 2024. Disponible sur justicepaix.be
  • 9
    Ariane Estenne citée par Simon-Pierre de Montpellier dans Sommes-nous vraiment démocrates ?, Centre Avec, 2023. Disponible sur centreavec.be
  • 10
    Idem.
  • 11
    La recherche-action Falcoop est une recherche participative menée en partenariat entre BEES coop et le Centre d’Etudes Economiques et Sociales de l’Environnement (CEESE) de l’Université libre de Bruxelles. Elle avait pour objectif de favoriser, puis consolider, l’ancrage du supermarché coopératif dans un quartier urbain multiculturel. Pour plus d’informations sur cette recherche, voir falcoop.ulb.be
  • 12
    Le Réseau des Cuisines Collectives du Québec est né dans les années 1970 à l’initiative de trois femmes. Il existe actuellement 1.400 groupes qui cuisinent plus de 1,5 million de rations chaque année. 
  • 13
    Une présentation de tous les groupes est accessible en ligne sur le site des cuisines de quartier cuisinesdequartier.be
  • 14
    Projet soutenu par Action Vivre Ensemble en 2023. Pour plus de détails sur la plateforme, voir Belrefugees
  • 15
    Témoignage d’un participant (traduit par un bénévole arabophone de l’équipe du Café Monde) et publié par Action Vivre Ensemble
  • 16
  • 17
    Ces personnes sont envoyées soit par l’hôpital d’Auvelais, soit par un médecin traitant ou un service social, ou viennent de leur propre initiative.
  • 18
    GENTILE, Laura, Auvelais : l’atelier thérapeutique du CHRSM se réinvente, Télésambre, 2022. Voir telesambre.be
  • 19
    Témoignage de Anne-Marie Dufour, psychologue, cité par Laura Gentile (telesambre.be)
  • 20
  • 21
    Projet politique proposé par Joan Tronto, politologue américaine dans Un monde vulnérable – pour une politique du Care, éd. La Découverte, 2009.
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