Un grand groupe de personnes assises en cercle autour d'une personne qui parle
photo par Emmeline Orban pour Action Vivre Ensemble
Analyse

Rencontres au RWLP – l’éducation permanente en action

par Isabelle Franck et Emmeline Orban
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Lors de sa formation en juillet 2024, le gouvernement wallon a voulu prouver sa préoccupation envers les personnes précarisées, « la lutte contre la pauvreté » ayant été explicitement ajoutée aux compétences du ministre Yves Coppieters (Les Engagés). Qui dit changement de gouvernement, dit changement de stratégie…  En effet, pour affirmer une rupture avec le passé, le ministre et son gouvernement décident de parler de « stratégie » et non plus de « plan » de lutte contre la pauvreté. La volonté de marquer la différence est claire. Et la rencontre qui a eu lieu en ce début d’année entre les membres des gouvernements wallon et de la FW-B et des témoins du vécu en est la preuve.

Une stratégie de lutte

Dès le 17 octobre 2024, Journée internationale pour l’élimination de la pauvreté, le gouvernement et son ministre ont annoncé dans un communiqué de presse1Voir Réduire la pauvreté en Wallonie : un nouvelle stratégie ciblée coconstruite avec les acteurs de terrain les quatre axes prioritaires sur lesquels ils comptaient travailler, la méthode pour y parvenir et le calendrier. Les thématiques choisies (le logement, l’emploi et la formation, la santé – dont la santé mentale -, les liens sociaux et le renforcement du recours aux droits sociaux) sont transversales et constituent des priorités partagées par de nombreux acteurs. Elles ont d’ailleurs été l’objet de campagne de plusieurs associations de lutte contre la pauvreté ces dernières années, dont Action Vivre Ensemble (le droit au logement en 2023 et la santé mentale en 20242Étude de campagne 2023 : À bout de souffle. Parcours d’obstacles pour le droit au logement., Étude de campagne 2024 : Quand la détresse est partout. Regards sur les liens entre précarité et santé mentale.). L’ensemble du gouvernement wallon serait impliqué ainsi que le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles – le ministre Coppieters y étant également ministre de la Santé, de l’Égalité des chances et du Droit des femmes.

Concrètement, le ministre a créé un comité de pilotage composé de représentants du monde académique, des administrations, des cabinets, de l’Union wallonne des entreprises (UWE), de l’AKT (organisation des entrepreneurs privés) et du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP). Le cabinet prévoit également la création de quatre groupes de travail, un par thématique, dont les résultats permettront l’élaboration d’une stratégie. La participation de témoins du vécu est également prévue.

L’objectif de ces groupes est de proposer des mesures concrètes, à fort impact, au comité de pilotage qui les évaluera et veillera à leur cohérence. La stratégie retenue devra ensuite être avalisée par le gouvernement et le Parlement afin de la présenter le 17 octobre 2025 et elle s’appliquerait à partir de 2026. Cependant, les actions de cette stratégie devront être mises en place « dans les limites budgétaires actuelles ». Cela sous-entend qu’il n’y aura pas de financement supplémentaire. Pour le cabinet, les résultats mitigés du gouvernement précédent sont liés à un manque d’efficience de la politique mise en place. Faire mieux avec les mêmes ressources : un défi de taille pour les acteurs participant au processus.

Enfin, ce processus implique un rythme de travail intensif et très exigeant, notamment pour le RWLP qui est impliqué dans les différents groupes de travail ainsi qu’au comité de pilotage. Celui-ci a choisi de s’associer aux travaux afin de défendre au mieux les personnes qui vivent « le trop peu de tout ». Parmi les enjeux importants dans l’élaboration de cette stratégie, il s’agit notamment, pour le RWLP, que tou·tes les ministres des gouvernements wallon et francophone soient impliqué·es, la pauvreté étant l’affaire de toutes et tous.

Lors d’une réunion de la Plateforme belge de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale3Structure fédérale, la Plateforme belge contre la pauvreté et l’exclusion sociale « représente l’organe de concertation central pour la préparation et le suivi de la politique belge et européenne dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. La Plateforme belge se réunit au moins quatre fois par an. Tous les deux ans, la Plateforme belge organise en outre une réunion ouverte afin que toutes les parties prenantes aient l’occasion de participer au maximum aux processus politiques. » Voir, deux représentantes du cabinet Coppieters sont venues présenter le processus participatif de l’élaboration de la future stratégie. Ce fut l’occasion d’apprendre que le cabinet prévoyait la création d’un cinquième groupe de travail intitulé ‘autonomie encadrée’ dont l’objectif est de cartographier les opérateurs de terrain luttant contre la pauvreté et d’en évaluer les impacts dans une perspective de pérennisation des financements. Enfin, l’appel à candidatures pour participer aux groupes de travail a remporté un franc succès. Le cabinet en a reçu plus de deux cents. Celui-ci a pu en retenir environ une centaine pour composer l’ensemble des groupes. Afin d’éviter autant que possible les frustrations, il a décidé d’organiser un débat public en juin au Parlement wallon. Une rencontre pour présenter les premiers résultats aux témoins du vécu militants4« Les témoins du vécu militants au RWLP constituent un groupe ouvert, le plus ouvert possible aux personnes qui, fortes de leurs vécus, s’inscrivent dans une démarche participative collective. Ils nourrissent les réflexions, ils constituent la base d’un propos collégialement élaboré. Quels que soient leurs bagages, leurs modes de vie, leurs facilités ou leurs difficultés à s’exprimer, à fréquenter un lieu inconnu, à prendre part à un collectif…, ils sont le cœur de la dynamique de lutte contre la pauvreté menée par le Réseau » (https://rwlp.be/qui-sommes-nous/). Les témoins du vécu militant sont « des personnes qui vivent plus ou moins fortement la pauvreté ou l’appauvrissement, l’exclusion et la confrontation aux institutions. Ces situations d’injustice les conduisent à désirer s’investir volontairement au sein du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté pour chercher à construire des réponses au bénéfice du collectif. Ces personnes, pour lesquelles les formes participatives sont diverses afin de n’en exclure aucune, constituent le cœur du RWLP, des processus de travail et de luttes collectives. Elles participent à la démarche de compréhension des causes de la pauvreté et à la construction de propositions de solutions » (Lutte contre la pauvreté et participation. Retour d’expérience dans L’Observatoire, Faire place à l’usager, n° 120, 2024). (TVM) est également à l’agenda. Un dispositif complet qui se veut à la hauteur des ambitions.

Une rencontre historique au RWLP5Pour une description en détails de la rencontre : Une rencontre avec les gouvernements de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 20 février 2025

Afin de combattre efficacement la pauvreté, la précarité et toute forme d’exclusion sociale, le passé nous a déjà prouvé qu’il est essentiel de partager nos vécus. S’asseoir et écouter. Écouter mais croiser les narratifs également, faire preuve d’humilité, se rencontrer et avancer ensemble. C’est tout ce spectre d’attitudes qu’a permis le type de rencontre qui a eu lieu de manière assez exceptionnelle ce 20 février dernier, rue Marie-Henriette à Namur, au siège du RWLP. Une salle, des hommes et des femmes aux passés et présents différents, des témoignages et, en bout de course, une mission commune de compréhension mutuelle.

Ce jour-là, dans une des salles du Réseau, étaient réunis des membres des gouvernements wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 10 ministres au total (dont un représenté), pour un échange avec les témoins du vécu militants (ci-après TVM). Un véritable tour de force dont peu d’associations ou d’organisations au sens large peuvent se vanter. Il s’agit là en effet d’une véritable reconnaissance du RWLP comme acteur de référence en matière de lutte contre la pauvreté. Cet événement prenait place à la suite de la promesse pré-électorales des partis de venir rencontrer les témoins du vécu militants à leur demande. Promesse tenue donc, un peu moins d’un an après les élections.

Cette rencontre était l’occasion de démontrer, au travers des témoignages, la transversalité de la pauvreté dans notre société et dès lors dans les compétences des différent·es ministres. Outre les témoins du vécu militants et les politiques, le RWLP avait aussi invité ses facilitateurs et facilitatrices en prévention des inégalités6 « De par leurs expériences, actuelles ou passées, de par leurs parcours de vie ‘dans le trop peu de droits et de ressources’, les facilitatrices et facilitateurs en prévention des inégalités employés au sein de l’équipe du RWLP permettent de toujours envisager les actions sous le prisme des premier·ières concerné·es par la pauvreté et les inégalités sociales. Ils apportent leurs connaissances, ils relient aux personnes qui vivent la pauvreté et sont un aiguillon permanent au sein de l’équipe. Ils s’investissent dans des projets de réduction du non-recours aux droits au sein des services publics (Région wallonne, Fédération Wallonie-Bruxelles, pouvoirs locaux). » (Lutte contre la pauvreté et participation. Retour d’expérience dans L’Observatoire, Faire place à l’usager, n° 120, 2024)., des travailleurs et travailleuses de 1e ligne des administrations wallonnes et de la Fédération Wallonie-Bruxelles7Plusieurs services étaient concernés : le 1718, service téléphonique d’urgence sociale, les plans de lutte contre la pauvreté et des chargés en prévention de l’aide à la jeunesse. et des membres d’associations partenaires, dont Action Vivre Ensemble.

Après une introduction par Christine Mahy, la secrétaire générale du RWLP, qui rappelait qu’échapper à la pauvreté, c’est bénéficier d’une série de richesses dépassant largement la seule notion financière8C’est-à-dire les richesses matérielles, naturelles, relationnelles, collectives et solidaires, affectives et psychologiques et culturelles., plusieurs personnes se sont succédé pour témoigner du phénomène de pauvreté. Ce sont d’abord les travailleurs et travailleuses du 1718, service téléphonique d’urgences sociales, qui ont présenté plusieurs situations de personnes prises dans l’engrenage de la pauvreté. Ces témoignages démontraient l’effet ‘boule de neige’. Un premier accident de parcours (une maladie, un divorce, une perte d’emploi) dont on devrait pouvoir se relever mais qui en entraîne d’autres. Très vite, les problèmes s’accumulent au point qu’il semble impossible de trouver des solutions. C’est l’histoire du serpent qui se mord la queue.

Ont ensuite pris la parole des TVM et des facilitateurs et facilitatrices. Par leur témoignage, ils et elles ont pu rendre compte de

  • leurs problèmes de logement, comme Pacou : il vit dans sa maison sans aucune isolation et ses maigres revenus ne lui permettent pas de payer les travaux, même avec les primes ;
  • leur envie d’accéder à une alimentation de qualité, comme Alain qui s’est nourri de  pâtes au thon un jour sur deux pendant des mois ;
  • des frais liés à l’emploi, comme Humeyra, maman solo d’une petite fille de 6 ans qui doit payer les stages, la garderie et gérer de gros horaires au quotidien pour prendre le train et réduire les coûts de transport.

« Le logement aujourd’hui, c’est la loi du plus fort, la loi du marché. Quand vous n’avez pas de sous, vous devez prendre les restes. Et moi, c’est ce qui m’est arrivé. Je travaillais, je gagnais bien ma vie, je n’avais pas de soucis, puis je suis tombé gravement malade. Du jour au lendemain, je suis devenu un allocataire social. Quand mes enfants sont partis de la maison, j’ai perdu mon logement social. Je n’ai pas eu le choix. J’ai dû emménager dans une maison loin de tout et impossible à chauffer. Vivre dans ces conditions, ça te fout en l’air. Physiquement d’abord : le froid, l’humidité, ça provoque des problèmes respiratoires, de l’asthme, des allergies. En tension permanente, mes muscles sont atrophiés. Je suis atteint de rhumatismes et de neuropathies qui ne guériront jamais. Mais c’est mon mental qui a le plus subi. Je n’arrive plus à me projeter. Le logement impacte ta santé mentale : insécurité, dépression, anxiété, pensées suicidaires et c’est sans compter ceux qui sont passés à l’acte, et resteront muets à jamais »

Extrait d’un témoignage issu de la rencontre du 20 février 2025.9Voir RWLP, Une rencontre avec les gouvernements de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 20 février 2025

Au travers de ces prises de paroles, Christine Mahy a mis en évidence l’aspect multifactoriel de la pauvreté, l’importance de la prévention ou encore le cercle vicieux de l’endettement qui maintient la tête sous l’eau. Elle a rappelé que la pauvreté est [ou doit être ?] une compétence transversale qui concerne tou·tes les ministres. Lutter contre la pauvreté n’est pas de la responsabilité d’un seul ministre.

En fin de rencontre, les ministres-présidents, les ministres Coppieters et Desquesnes ont pris la parole pour réaffirmer leur désir de travailler avec le RWLP et les TVM dans la définition de leur politique. Il est clair que le ministre Coppieters et le gouvernement tentent une approche différente de leurs prédécesseurs, tant au niveau des thématiques que de la méthode. Le calendrier est serré et l’objectif de diminuer la pauvreté à budget inchangé est ambitieux. Le ministre a déployé des moyens importants pour aboutir à une stratégie qui se veut concertée.

Démocratie et éducation permanente

« Ensemble, les associations partenaires du RWLP portent la conviction qu’à plusieurs, on est plus fort dans l’interpellation et que c’est à travers la participation des personnes appauvries, précarisées ou vivant la pauvreté « durable », à partir de leurs réalités de vie et avec elles que la justice sociale se construit »10Voir rwlp.be.

S’il est vrai que la démocratie ne devrait pas s’arrêter à la sortie des urnes, les occasions sont rares de l’exercer « pour de vrai », notamment en (re-)connectant les responsables politiques à la réalité quotidienne des citoyen·nes. Les rencontres entre politiques et militants organisées par le Réseau wallon sont un bel exercice de démocratie à travers la dynamique de l’éducation permanente. Et les groupes de travail mis en place dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté évoqués au début de cette analyse, pour peu que la parole des personnes directement concernées y soit réellement écoutée et prise en compte, participent également de cet exercice continu de la démocratie.

« Je suis témoin du vécu militant au Réseau, je participe à plusieurs travaux de recherche en éducation permanente (…). Être un collectif, réfléchir à plusieurs et mener des débats permet d’être entendu. Seul, personne ne t’écoute. Merci de nous écouter aujourd’hui et de nous entendre. Participer, c’est se rendre compte qu’on n’est pas seul sur terre, que d’autres vivent ce que je vis. On peut, pas à pas, faire changer la société »11RWLP, Une rencontre avec les gouvernements de la Wallonie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, 20 février 2025

Bien qu’elle doive composer avec un budget inchangé, il est permis d’espérer que cette nouvelle stratégie et sa méthodologie – qui comporte notamment un suivi régulier des résultats – soit elle aussi un exemple de ce que devrait être une véritable démocratie, en particulier dans la lutte contre la pauvreté : une façon d’organiser la « chose publique » fondée sur l’écoute des premiers et premières concerné·es, la consultation, la concertation, une vision à long terme qui prend en compte l’ensemble des déterminants de la pauvreté, la transversalité des politiques mises en place… tout un programme. Rendez-vous dans quelques années pour juger sur pièce.

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    Structure fédérale, la Plateforme belge contre la pauvreté et l’exclusion sociale « représente l’organe de concertation central pour la préparation et le suivi de la politique belge et européenne dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. La Plateforme belge se réunit au moins quatre fois par an. Tous les deux ans, la Plateforme belge organise en outre une réunion ouverte afin que toutes les parties prenantes aient l’occasion de participer au maximum aux processus politiques. » Voir
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    « Les témoins du vécu militants au RWLP constituent un groupe ouvert, le plus ouvert possible aux personnes qui, fortes de leurs vécus, s’inscrivent dans une démarche participative collective. Ils nourrissent les réflexions, ils constituent la base d’un propos collégialement élaboré. Quels que soient leurs bagages, leurs modes de vie, leurs facilités ou leurs difficultés à s’exprimer, à fréquenter un lieu inconnu, à prendre part à un collectif…, ils sont le cœur de la dynamique de lutte contre la pauvreté menée par le Réseau » (https://rwlp.be/qui-sommes-nous/). Les témoins du vécu militant sont « des personnes qui vivent plus ou moins fortement la pauvreté ou l’appauvrissement, l’exclusion et la confrontation aux institutions. Ces situations d’injustice les conduisent à désirer s’investir volontairement au sein du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté pour chercher à construire des réponses au bénéfice du collectif. Ces personnes, pour lesquelles les formes participatives sont diverses afin de n’en exclure aucune, constituent le cœur du RWLP, des processus de travail et de luttes collectives. Elles participent à la démarche de compréhension des causes de la pauvreté et à la construction de propositions de solutions » (Lutte contre la pauvreté et participation. Retour d’expérience dans L’Observatoire, Faire place à l’usager, n° 120, 2024).
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     « De par leurs expériences, actuelles ou passées, de par leurs parcours de vie ‘dans le trop peu de droits et de ressources’, les facilitatrices et facilitateurs en prévention des inégalités employés au sein de l’équipe du RWLP permettent de toujours envisager les actions sous le prisme des premier·ières concerné·es par la pauvreté et les inégalités sociales. Ils apportent leurs connaissances, ils relient aux personnes qui vivent la pauvreté et sont un aiguillon permanent au sein de l’équipe. Ils s’investissent dans des projets de réduction du non-recours aux droits au sein des services publics (Région wallonne, Fédération Wallonie-Bruxelles, pouvoirs locaux). » (Lutte contre la pauvreté et participation. Retour d’expérience dans L’Observatoire, Faire place à l’usager, n° 120, 2024).
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    Plusieurs services étaient concernés : le 1718, service téléphonique d’urgence sociale, les plans de lutte contre la pauvreté et des chargés en prévention de l’aide à la jeunesse.
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    C’est-à-dire les richesses matérielles, naturelles, relationnelles, collectives et solidaires, affectives et psychologiques et culturelles.
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    Voir rwlp.be
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