par Chantal Samson
Tribu : n.f. Agglomération de familles vivant dans la même région ou se déplaçant ensemble. Un nom qui sonne comme une évidence : l’association La Tribu des Familles, établie dans le Tournaisis, s’est donné pour mission de renforcer les compétences parentales et de soutenir les familles dans les défis du quotidien lorsque différentes formes de précarité compliquent ce rôle pourtant merveilleux : devenir maman ou papa.
Nous l’appellerons Julie. Enseignante, elle vit dans la campagne tournaisienne, où son mari est exploitant agricole. Des problèmes de santé ont contraint ce dernier à réduire fortement ses activités, mais la précarité de Julie et de sa famille n’est pas que financière. Cette maman souffre surtout d’un grand isolement social : des parents décédés, des beaux-parents qui ont coupé les ponts, des liens amicaux distendus, la précarité est avant tout psychologique. Julie, qui a fait une dépression post-partum après la naissance de ses deux premières filles, redoute le même scénario pour la troisième. C’est donc pendant cette dernière grossesse qu’elle a pris contact avec l’association La Tribu des Familles, qui offre un accompagnement solidaire aux familles en situation d’isolement ou de fragilité dans les régions de Tournai, Antoing, Péruwelz et leurs environs.
« Notre objectif est de renforcer les compétences parentales et de soutenir les familles dans les défis du quotidien. Sans mandat ni contrat d’aucune sorte : c’est la famille qui nous dit ce qu’elle attend de nous », explique Marie Feihle, cofondatrice de l’association. Marie et sa collègue, Isabelle Vanoli, sont épaulées par une dizaine de bénévoles, tous et toutes empreints de bienveillance et d’une grande capacité d’écoute sans jugement. Chaque bénévole consacre, par semaine, deux à trois heures de son temps à une famille dédiée – et ce, durant un an. Pour Julie, cette présence régulière représente une grosse bouffée d’oxygène dans un quotidien anxiogène : elle lui permet non seulement de rompre sa solitude, mais aussi de pouvoir consacrer un « temps positif » à chacun de ses enfants, qu’il s’agisse de la préparation d’un goûter, d’une brève promenade ou d’un moment d’écoute privilégié.
L’isolement crée de nombreux manques
Les routes de Marie Feihle (qui a exercé comme sage-femme pendant douze ans) et d’Isabelle Vanoli (ayant longtemps travaillé dans le secteur humanitaire) se sont croisées en 2010 à la faveur d’une formation en haptonomie prénatale. Une dizaine d’années plus tard, leurs attentes humaines et professionnelles les ont fait cheminer ensemble vers la création de La Tribu des Familles, essaimage de l’ASBL bruxelloise Le Petit Vélo Jaune. Les deux associations ont posé le même constat de départ : en situation d’isolement ou de précarité, les parents peuvent se sentir démunis face à la naissance de leur enfant ou dans ce rôle nouveau qui leur est dévolu. Lorsque l’entourage proche fait défaut – du fait d’un déménagement, de difficultés intrafamiliales, d’une immigration difficile –, devenir parent provoque des inquiétudes et des angoisses multiples. « Les parents se sentent parfois tellement dépassés par la situation qu’ils n’ont plus aucune interaction avec leurs enfants. Tout devient source de problèmes », constate Marie.
En 2024, La Tribu des Familles a accompagné 18 familles, majoritairement monoparentales, soit un total de 41 enfants concernés. En ce début 2025, dix familles déjà sont suivies par l’association et les sollicitations sont nombreuses. « Nous constatons que l’accès aux services psycho-sociaux se restreint progressivement et que les personnes précarisées, en réaction, s’isolent encore plus alors qu’elles pourraient bénéficier d’aides extérieures », relève Marie. « Je pense, par exemple, à cette maman isolée dans un village du Tournaisis avec six enfants à la maison. Le père était présent, mais il travaillait de 6h à 20h tous les jours de la semaine. Sa situation – elle assumait seule la charge mentale d’une famille nombreuse – était considérée comme de la monoparentalité, ce qui lui ouvrait la voie à certaines aides telles que le taxi social, mais elle l’ignorait. Dans ce type de situation, nous épaulons les familles pour toutes les démarches administratives nécessaires. »
L’accompagnement va toutefois bien au-delà car l’isolement crée de nombreux manques. Ensemble, les familles bénéficiaires et les bénévoles de « la tribu » poussent les portes des crèches, des maisons de quartier, des bibliothèques, des ludothèques, des bourses aux vêtements, des centres de santé, des plaines de jeux, des centres de psychomotricité, des lieux culturels, etc. Les bénévoles investissent également une partie de leur temps au domicile même des familles. Des moments précieux, comme en témoigne Anne-Laure, l’une des bénévoles : « J’accompagne depuis quelques mois une maman solo avec des jumeaux en bas âge. Je la sens heureuse de me voir arriver, et ses deux petits bouts également. Je l’aide pour les repas de midi et je discute avec elle de nos rôles de maman, je lui donne parfois quelques conseils, je l’aide à relativiser. Une belle relation s’est créée entre nous. »
En avril 2025, La Tribu des Familles a également lancé un service complémentaire de transport pour faire face à la « précarité géographique » dans des zones rurales mal desservies par les transports publics. Des missions plus ponctuelles, assurées par des bénévoles spécifiques, mais qui favorisent malgré tout le tissage de liens. « Pouvoir aider une personne par un simple trajet en voiture durant lequel on va pouvoir discuter, s’ouvrir l’une à l’autre, rigoler et échanger sur divers sujets, n’a pas de prix », conclut Noémie, qui tire autant de bénéfices de cette expérience que sa passagère.


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