portrait de Nicolas Van Nuffel
Nicolas Van Nuffel
©Arnaud Ghys

On peut encore éviter que le réchauffement climatique devienne ingérable

Entretien

Le GIEC vient de publier son 6e rapport en 30 ans. Les conséquences du réchauffement climatique sont plus importantes que dans les pires scénarios. Pour Nicolas Van Nuffel, responsable de plaidoyer au CNCD-11.11.11 et président de la Coalition Climat, « nous avons encore la possibilité de réagir pour minimiser au maximum l’impact du dérèglement climatique mais nous n’avons plus d’autre choix que de changer nos modes de vie. » Une grande mobilisation est annoncée pour le 3 décembre, durant la COP 28.

Encore un rapport qui sonne comme un ultime avertissement ? Cela vous désespère ?

Je ne suis pas désespéré mais déterminé et en colère. Tout est dit depuis le premier rapport du GIEC il y a 33 ans ! Les marges d’incertitude étaient plus grandes qu’aujourd’hui mais la trajectoire était bien celle annoncée alors. Pour le cas où l’on ne réduisait pas les émissions de C02 ! Or, depuis 1990, l’Humanité a émis autant de C02 que pendant les 150 années qui ont précédé ! L’autre mauvaise nouvelle, c’est que, plus on avance, plus on se rend compte que les conséquences du réchauffement sont pires que ce que l’on craignait. Les rapports précédents étaient encore trop prudents sur le dégel du permafrost et de la banquise, la déstabilisation de la forêt amazonienne, etc. On ignore souvent que les écosystèmes ne se déstabilisent pas petit à petit mais atteignent des points de rupture. Et là, certains sont au bord du point de rupture.

Et la bonne nouvelle… ?

C’est que les scientifiques nous disent que c’est encore possible d’inverser la tendance, de limiter le réchauffement à 1,5°, qui devrait être atteint dans les années 2030. Techniquement, on a toutes les solutions. Cela va devenir de plus en plus difficile, pour des raisons socio-politicoéconomiques, de respecter la limitation à 1,5°. Mais chaque dixième va compter ! Si on rate 1,5°, il faudra viser 1,6°, pas 2,5°. Du moment où l’on atteindra le 0 carbone net, le problème se résoudra lentement.

Est-ce qu’en annonçant que le trou dans la couche d’ozone serait résorbé d’ici 2066, l’Organisation météorologique mondiale n’a pas donné un mauvais signal à celles et ceux qui critiquent l’alarmisme ?

Non, justement ! C’est parce que, dans les années 80, on a été alarmiste et qu’on a pris les mesures nécessaires et contraignantes que les choses se sont améliorées. Donc, quand on veut, on peut ! Mais il est vrai aussi que les gaz incriminés alors étaient plus anecdotiques et qu’il y avait des alternatives. On n’a rien dû changer à notre mode de vie. En revanche, pour le réchauffement, nous sommes tellement dépendants du pétrole, du charbon et du gaz qu’on ne s’en sortira pas avec quelques changements technologiques. Il faut changer nos modes de vie quoi qu’il arrive. Les deux sont nécessaires – les technologies et les changements de comportements – et ne s’opposent pas nécessairement : regardez les batteries pour vélos électriques.

Comment expliquer qu’on n’a rien fait en trois décennies ? L’immobilisme politique ?

Il y a un changement net par rapport à il y a 5 ou 10 ans. Les hommes et les femmes politiques d’il y a 30 ans étaient nés avant la guerre, ne juraient que par le progrès, ne voyaient pas les conséquences que l’on voit désormais. Dès 2008, lors de la crise bancaire, nous disions qu’il fallait profiter de cette crise pour prendre le virage et provoquer la transition au travers des moyens de la relance économique. On nous riait au nez. Aujourd’hui, avec les réponses données aux crises du Covid et de l’Ukraine, on voit que les solutions sont certes insuffisantes mais qu’elles vont dans la bonne direction. Les politiques ont donc intégré cela. La population maintient cette question du climat parmi ses préoccupations malgré la crise. Après, évidemment, il y a un pas entre vouloir sauver le climat et changer de comportements.

La Coalition Climat a produit un plan de dix solutions pour aller dans ce sens…

En Belgique, les trois éléments principaux pour diminuer notre impact sont nos bâtiments, nos transports et notre alimentation. Il faut un vaste chantier collectif qui triple le rythme auquel on rénove les logements (un pacte logement-énergie, lire encadré). La Belgique ne peut parvenir au 0 carbone que si elle diminue le nombre de voitures par trois… Il faut donc refinancer la SNCB, développer les bus en zones rurales, développer encore les pistes cyclables et les voitures partagées. Enfin, il est clair que le Belge moyen consomme trop de viande. Il ne s’agit pas de dire que tout le monde doit être végétarien mais de privilégier la qualité et l’équilibre.

Bref, c’est encore possible mais à quel prix et à quelle échéance ?

C’est trop tard pour éviter le dérèglement climatique, il est là. Avant, il était théorique. Désormais, comme les habitants et habitantes de la Vesdre, nous avons notre nez dessus. Mais on peut encore éviter qu’il prenne des proportions ingérables. En diminuant nos émissions de gaz à effet de serre au plus vite et en mettant en place des mesures d’adaptation pour vivre avec ce dérèglement. Si on avait pris les mesures dans les années 90, on aurait pu prendre une pente douce. Désormais, la pente est rude. On a obtenu en 2018 dans le Green Deal européen l’ambition d’une baisse de 55% des émissions de l’Europe pour 2030 et la décarbonation pour 2050. Mais cela se complique maintenant avec la question des politiques qu’on met en oeuvre pour y arriver.

Un Pacte logement-énergie né à Wanne

La transition réussie fait le pari de lier justice climatique et justice sociale. Possible ? Les personnes en situation de pauvreté ne peuvent acheter une nouvelle voiture, isoler une maison, manger bio, entend-on souvent. Cette question fondamentale – urgence sociale ou urgence climatique ? – était déjà au centre d’un débat entre Nicolas Van Nuffel et Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP), voici un an à Wanne, lors du premier weekend de la transition organisé par Entraide et Fraternité/Action Vivre Ensemble. « De cette rencontre, explique Nicolas Van Nuffel, est née une collaboration étroite avec le RWLP, nous travaillons ensemble à la création d’un Pacte logement-énergie pour des mesures qui allient justices sociale et climatique, des mesures qui contribuent à réduire les inégalités : plus contraignantes pour les riches et favorisant l’isolation des logements, publics ou privés, habités par les familles les plus défavorisées. Les pouvoirs publics doivent investir massivement. »

# jt200